La crise du Covid-19 éclaire d’une lumière crue les impasses de la construction européenne. Le culte de l’austérité a lourdement affaibli nos systèmes de soins et nos hôpitaux publics. Notre souveraineté dans la production des médicaments et des équipements sanitaires a été détruite au nom de la concurrence libre et non faussée et de l’aveuglement libre-échangiste. Le refus de toute harmonisation par le haut des droits des travailleurs et de toute forme de protectionnisme solidaire a favorisé les délocalisations, notamment des secteurs les plus stratégiques. Le manque d’ambition environnemental et la foi aveugle dans les mécanismes du marché ont conduit à la réduction drastique de la biodiversité et la déforestation, détruisant les habitats naturels et favorisant ainsi la propagation des épidémies. C’est bien le modèle de développement promu par l’Union européenne qui est aujourd’hui en cause.
Pire encore, face à la propagation de l’épidémie, l’Europe s’est révélée incapable de mettre en place une réponse coordonnée et d’ampleur suffisante. Les mesures prises par les États membres ne dégagent aucune cohérence alors que c’est l’ensemble des peuples européens qui sont interdépendants. La Banque centrale européenne, dont l’indépendance à l’égard de tout pouvoir politique est inscrite dans les traités, a longtemps tergiversé avant d’engager des mesures bien trop timides. La mobilisation des fonds de cohésion, que le Président de la Commission du développement régional, le député LFI Younous Omarjee, a appelé de ses voeux et que le Parlement européen vient d’adopter a permis à l’Union européenne de se doter d’un mécanisme pour agir dans l’urgence et aider les régions en difficultés, les hôpitaux et les PME dans toute l’Europe. C’était essentiel, mais face à l’étendue des conséquences sanitaires, sociales et économiques que la crise du coronavirus engendrera d’autres mesures plus amples sont attendues et nécessaires pour aller plus loin.
De manière générale, comme lors des crises précédentes, la solidarité européenne s’est révélée être un vœu pieux : tandis que l’Italie est durement touchée, ce sont des pays extérieurs à l’Union Européenne qui lui viennent en aide. Dans le même temps, la République tchèque détourne les masques destinés au peuple italien. N’est-ce pas là l’extension à l’extrême des logiques de concurrence entre les peuples promues par les traités européens ?
Dans ce contexte, l’Europe est à la croisée des chemins. Poursuivant sur cette voie, elle sera incapable de répondre efficacement à la crise sanitaire et fera un pas de plus vers sa dislocation. À l’inverse, en faisant primer la solidarité, la planification publique de l’effort sanitaire, la protection et l’intervention des travailleurs dans les prises de décision, elle pourrait être à la hauteur du défi lancé à nos sociétés. Elle poserait ainsi les bases d’une nouvelle coopération européenne débarrassée des dogmes et carcans du passé.
C’est le sens des propositions que nous formulons aujourd’hui. Mesures d’urgence à prendre immédiatement, en complément des 11 mesures d’urgence proposés en France par les députés de la France insoumise, elles visent aussi à construire le monde d’après.
- Mettre en place une véritable planification sanitaire européenne organisant la réquisition par les états membres de l’ensemble des capacités hospitalières; une coordination de l’approvisionnement en matériel médical et en médicaments; des mesures d’entraide, par exemple par le transfert de patients d’un pays à un autre en cas de surcharge des capacités hospitalières.
- Préparer de manière concertée la sortie du confinement des états membres qui ont mis en œuvre de telle mesure par la généralisation d’une stratégie de dépistage massif.
- Limiter la propagation de l’épidémie en suspendant dès maintenant la directive sur le travail détaché qui fait courir un risque sanitaire et social, tout en garantissant un accès des travailleurs concernés aux dispositifs de chômage partiel des états membres.
- Assurer le respect des conditions de travail et la protection des travailleurs des secteurs essentiels à la bataille sanitaire et renforcer immédiatement le pouvoir d’investigation et d’auto-saisine des CNIL européennes pour garantir le droit des salariés en télétravail.
- Contribuer au maintien de la rémunération des travailleurs immobilisés en raison de la crise en élargissant notamment le champ d’intervention du Fonds européen d’ajustement à la mondialisation pour lui permettre de contribuer au financement du chômage partiel et prendre en compte le cas spécifique des travailleurs transfrontaliers.
- Inviter les états membres, dans l’attente d’une directive européenne sur le sujet, à garantir aux travailleurs des plateformes les mêmes droits et la même protection sociale qu’à n’importe quel travailleur en prenant des mesures d’urgence garantissant sécurité et rémunération, notamment en cas d’arrêt maladie, d’arrêt de travail pour prendre soin d’un proche ou d’auto-confinement.
- Soutenir les petites et moyennes entreprises et les indépendants en invitant les États membres à mettre en place des dispositifs d’« état acheteur en dernier ressort » avec une prise en charge de tous les coûts fixes le temps de la crise pour leur permettre de conserver leurs employés sans licenciements et de reprendre leur activité dans les mêmes conditions à l’issue de la crise sanitaire.
- Veiller au respect des droits sur internet des citoyens européens et à la neutralité du net en révisant le règlement ePrivacy afin de garantir un bon niveau de protection dans le cadre privé ou professionnel, en refusant la marchandisation des données et en plaçant toute mesure de priorisation des flux numériques sous le contrôle des autorités publiques.
- Renforcer les compétences de l’Agence de l’Union européenne pour la cybersécurité afin d’assurer une meilleure résilience, dissuasion et réaction face aux menaces croissantes de cyber attaques dans le contexte de la crise sanitaire.
- Augmenter le Fonds européen d’aide aux plus démunis pour apporter une aide alimentaire et une assistance matérielle suffisante, notamment en matière d’hygiène, aux précaires et aux sans-abris.
- Promouvoir des mesures alternatives à l’incarcération, comme suggéré par la Cour européenne des droits de l’homme pour faire face aux dangers renforcés de la surpopulation carcérale et mettre en œuvre des mesures compensatoires pour les détenus privés de leurs droits comme l’octroi de crédits téléphoniques ou la mise en place de visioconférence pour la famille ou la défense.
- Garantir la possibilité de rentrer chez soi à tout ressortissant européen présent à l’étranger via le mécanisme de protection civile européenet en mutualisant les solutions de rapatriement des États membres et revoir les lignes directrices concernant les droits des passagers pour assurer le remboursement maximal en cas d’annulation d’un déplacement prévu par la transporteur ou pour des raisons sanitaires.
- Organiser la prolongation des titres de séjours, stopper les renvois de migrants vers des pays tiers et mettre à l’abri dans des structures adaptées les familles et les mineurs isolés étrangers présents sur les Îles Égéennes.
- Réviser les accords de libre-échange pour favoriser le soutien aux productions européennes et la relocalisation des productions stratégiques et des chaînes d’approvisionnement.
- Lancer un programme européen de recherche sur le Covid-19, mutualisant les connaissances des chercheurs des États membres, approfondissant les tests sur les médicaments et coordonnant les efforts européens dans la recherche d’un vaccin.
- Soutenir le monde de la culture en lançant un plan immédiat d’aide, via Europe creative, aux structures culturelles affectées par les fermetures dues à la crise sanitaire et en mettant en place des aides compensatoires aux structures ouvrant leur fond gratuitement ou frappées par des annulations ou des reports.
- Suspendre durablement l’interdiction des aides d’État et les procédures de sanctions engagées à ce sujet afin de favoriser le soutien public ou les nationalisations des entreprises indispensables à la réponse sanitaire.
Pour financer ces mesures, des solutions immédiates existent :
- Mobiliser l’ensemble des ressources européennes (Réserve d’aide d’urgence, Fonds social européen, Instrument de flexibilité, …), faciliter l’utilisation des Fonds de cohésion et du Fonds européen de solidarité et mettre en place un Fonds européen de crise sanitaire doté de plusieurs milliards et dédié à l’aide d’urgence, pour les autorités locales et régionales les plus touchées et les plus vulnérables, notamment les régions ultrapériphériques.
- Faciliter le financement des mesures de réponse à la crise en exigeant de la Banque centrale européenne des prêts à taux zéro directement aux États membres et réorienter la création monétaire vers les PME et les citoyens (helicopter money).
- Réorienter les prêts de la Banque européenne d’investissement vers le financement des mesures de réponse à la crise sanitaire, économique et sociale.
- Enlever toute conditionnalité à l’utilisation du mécanisme européen de stabilité et des programmes de rachats des dettes publiques de la Banque centrale européenne.
- Instaurer une solidarité budgétaire entre les États membres le temps de la crise, en permettant des emprunts en commun sans contreparties pour en diminuer le coût.
- Annoncer un audit sur la dette des États membres afin d’identifier la partie liée au coronavirus et envisager une annulation totale ou partielle.
- Suspendre durablement le pacte de stabilité et de croissance pour libérer des marges de manœuvre budgétaires dans les budgets nationaux.
- Fermer les bourses le temps du confinement et interdire à leur réouverture l’utilisation des produits financiers hautement spéculatifs et du trading à haute fréquence.
Délégation insoumise au Parlement européen