L’humanité est désormais confrontée à une crise existentielle. L’activité humaine est responsable d’un dérèglement climatique désastreux, du 6e avatar d’une extinction de masse à l’échelle de la planète, déclenchant des pertes en matière de biodiversité qui atteignent un point critique. Nous sommes déjà condamnés à un réchauffement climatique qui aura des effets catastrophiques, et nous sommes sur une pente glissante, qui peut mener à notre propre extinction. Le rapport du GIEC de 2018 nous prévient sans équivoque : « sans une transformation sociétale, sans une mise en place rapide de mesures ambitieuses pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre, les voies permettant de limiter le réchauffement à 1.5° et d’assurer un développement durable seront extrêmement étroites, voire inexistantes. »
Pourtant, la crise à laquelle nous faisons face va au-delà de l’effondrement écologique. L’accroissement des inégalités, la démocratie malmenée, les emplois précaires, la violence de race et de genre, l’hostilité aux frontières et des guerres interminables constituent le terreau sur lequel la déstabilisation climatique aura lieu. Ce sont les plus vulnérables qui seront touchés les premiers, le plus fortement, et celles et ceux qui souffriront le plus.
Nous devons régler en même temps la crise climatique et la crise liée aux inégalités. Les solutions pour sauver le climat dans un contexte d’austérité produiront une réaction populaire, comme on l’a vu avec le mouvement des Gilets Jaunes contre la taxe sur le carburant. Les grandes entreprises qui profitent de l’extraction des matières fossiles ont fait en sorte d’opposer les travailleurs aux écologistes, en affirmant que l’énergie propre serait fatale pour l’emploi. Mais la qualité de la vie des classes populaires et des pauvres, menacée par le dérèglement climatique, connaîtrait une amélioration majeure dans le cadre d’une transition équitable. Parce que le capitalisme récompense les activités d’extraction pour concentrer la richesse, il doit être remplacé par une économie durable. Un New Deal vert (« Green New Deal ») peut constituer le début de la transition d’un capitalisme fondé sur l’exploitation vers un socialisme démocratique et écologique.
L’urgence et les dimensions de la crise qui est devant nous exigent des solutions qui correspondent à l’ampleur du problème. Le gradualisme inefficace et l’obéissance aux intérêts des grandes entreprises qui sont l’alpha et l’oméga de la politique climatique du gouvernement américain ont démontré à quel point ils constituent une impasse pour l’humanité. Nous avons besoin d’une transformation rapide et systémique qui résolve la question de l’inégale répartition des richesses et du pouvoir tout en mettant la sortie des énergies carbonées et la justice au premier plan des préoccupations.
Nous avons besoin d’un New Deal vert. Nous exigeons un New Deal vert, et nous exigeons qu’il soit au service de la population et de la planète – pas du profit
Voilà trop longtemps que nos moyens d’existence sont minés par la recherche du profit. L’expropriation des terres, les massacres de masse et l’esclavage à grande échelle ont servi à construire les grandes fortunes, les marchés du coton et des biens industriels, le système financier et l’extraction que nous connaissons aujourd’hui. Leur héritage saute aux yeux. Certain.es meurent de faim tandis qu’on jette de la nourriture. Des bâtiments sont vides tandis que d’autres vivent dans la rue. Des populations issues des classes populaires, notamment non-blanches, sont empoisonnées par les industries polluantes qui détruisent le climat, pour que les riches deviennent plus riches.
Nous ne pouvons plus permettre que nos vies et notre émancipation soient compromises par un système extractif qui arrache la richesse à la terre, aux communautés, aux travailleuses et aux travailleurs, aux plus vulnérables, tout en faisant peser l’ensemble des coûts sur eux. Nous ne permettrons plus aux monopoles capitalistes et aux politiciens qui les servent de contrôler les ressources dont nous avons besoin et l’issue de nos vies. Nous exigeons que le peuple obtienne justice et détienne le pouvoir de décider de notre avenir – un avenir qui appartient à toutes et tous, générations actuelles et futures.
Les générations futures ont le droit à une belle planète et à une nature vibrante qui puissent fournir une belle vie à chacun.e. Pour créer une société totalement écologique, une transformation révolutionnaire sera nécessaire, pour remplacer l’ordre social capitaliste basé sur l’exploitation et l’oppression par une nouvelle société fondée sur la coopération, l’équité et la justice. Un New Deal vert doit servir de pont vers l’avenir. A cette fin, nous soutenons les résolutions présentées par Alexandria Ocasio-Cortez et Ed Markey au Parlement, en reconnaissant qu’il s’agit d’un début – pas d’un plan complet et adapté. Les politiciens au service des grandes entreprises s’opposent vigoureusement à leurs propositions, et les experts de Wall Street s’agitent nerveusement, mais c’est de nous que dépend la possibilité d’une campagne pour un New Deal vert à la fois radical et efficace. Les commentaires de la Climate Justice Alliance et du Indigenous Environmental Network montrent ce à quoi pourrait ressembler un tel New Deal, ancré dans une transition juste.
Le New Deal vert radical dont nous avons besoin de sera pas mis en place par le biais d’un projet de loi ou d’une résolution – il ne peut émerger que des luttes des travailleuses et travailleurs et des mouvements sociaux à la base. Avec nos alliés, nous pouvons organiser un mouvement multiple et puissant pour catalyser un tournant à gauche majeur de la politique américaine et les changements structurels massifs qui sont nécessaires pour assurer la justice climatique et la survie de l’humanité.
Parce que pour nous la lutte pour le climat est une lutte contre le capitalisme lui-même et la multitude des formes d’oppression qui le soutiennent, nous proposons de rassembler au sein de DSA et plus largement autour des principes ci-dessous, pour un New Deal vert radical.
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Pour une économie entièrement décarbonisée d’ici 2030.
En termes de temps, nous devons nous fixer un objectif plus ambitieux que celui que suggère le GIEC pour en rester aux 1.5° d’augmentation. En effet, les Etats-Unis ont une responsabilité historique dans la pollution carbonée, les sociétés très industrialisées sont plus à même de réduire rapidement leurs émissions et de financer le passage de la croissance infinie nourrie par les énergies fossiles à des systèmes régénératifs, et une décarbonisation plus rapide nous donnera plus de chances d’éviter la catastrophe liée à une augmentation supplémentaire de température. Nous devons mobiliser tous les secteurs de l’économie fortement producteurs de carbone pour éliminer les émissions de gaz à effet de serre à la source, et mettre en place des processus sans danger et naturels, qui prennent la mesure du problème, pour réduire et éliminer l’excès de carbone dans l’atmosphère – pas par le biais de « compensations » liées aux émissions en cours et conformes aux logiques du marché, mais pour commencer à restaurer un climat sans danger pour toutes et tous.
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Mettre en place un contrôle démocratique des principaux systèmes énergétiques et des ressources.
Nationaliser les entreprises produisant des énergies fossiles pour les éliminer aussi vite que nécessaire – aucun nouveau projet fondé sur l’énergie fossile ne pourra être autorisé ou construit. Socialiser les industries dépendant des énergies fossiles pour qu’elles puissent être réduites ou qu’elles passent à des processus sans énergie fossile. Faire passer les installations et le réseau électrique dans le domaine public, soutenir les coopératives énergétiques et les projets collectifs d’énergie solaire et éolienne pour établir un contrôle démocratique du passage à une énergie 100% renouvelable. Passer de la monoculture et de l’élevage intensif à une agriculture écologique et diversifiée. Etendre les banques publiques locales et nationales, financer les fonds fonciers communautaires, mettre fin à la privatisation de l’eau. Réinvestir dans les parcs nationaux et les agrandir; agrandir substantiellement les forets nationales, les pâturages et les zones de préservation de la vie sauvage pour permettre de constituer des réserves naturelles de carbone. Préserver les terrains publics pour les générations futures. Encourager le remplacement des véhicules individuels et des vols sur des courtes distances par l’extension des lignes de train électrique à grande vitesse, la gratuité des transports publics, le covoiturage, le vélo et autres modes de transport non polluants, selon des modalités qui profitent aux populations les plus démunies. L’avenir est un bien public, pas un luxe individuel.
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Engager la classe ouvrière dans une transition équitable vers une économie du « care » sociétal et écologique.
Garantir un emploi avec salaire « syndical » et avantages sociaux à qui le souhaite, par la création de millions d’emplois dans les services publics et l’investissement massif de fonds pour la construction d’une infrastructure décarbonée dans des secteurs décisifs tels que l’énergie renouvelable, l’agriculture durable, la restauration des sols et des écosystèmes, la réduction de l’impact environnemental, l’adaptation climatique, tout en augmentant le soutien aux secteurs à faible émission de carbone comme la santé, l’éducation et le travail domestique. Rendre aux salarié.e la maîtrise de leur destin en leur garantissant un droit du travail plus protecteur et les droits qui permettent de s’organiser collectivement. Promouvoir les coopératives et entreprises de travailleuses et travailleurs à tous les niveaux de l’économie. Assurer le contrôle démocratique des salarié.es sur l’utilisation des innovations technologiques et sur l’automatisation, sur les lieux de travail. Réduire le temps de travail hebdomadaire et garantir des congés parentaux et des vacances substantiels et bien payés pour tous les salarié.es.
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« Décommercialiser » la survie…
… en garantissant tout ce qui est indispensable, un salaire décent, des soins, la garde des enfants, le logement, la nourriture, l’eau, l’énergie, les transports publics, un environnement sain pour toutes et tous. S’assurer que la logique de marché ne fasse pas en sorte de chasser les classes populaires de leurs quartiers en mettant en place un contrôle universel des loyers, et travailler en coopération avec les populations en situation de danger climatique pour les relocaliser dans des endroits moins risqués. Rendre l’enseignement supérieur gratuit afin que chacun.e ait accès à des compétences qui peuvent faciliter une transition rapide de la société. S’assurer que la terre et les ressources sont en priorité utilisées pour construire des communautés résilientes et des écosystèmes à destination plus grand nombre, et pas pour une minorité.
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Réinventer nos communautés pour servir les intérêts de la population et de la planète, pas le profit.
Faciliter la création de conseils de quartiers pour la transition, chargés de la distribution, de l’éducation, des projets participatifs et de la prise de décision démocratique. Donner la priorité au financement des projets qui contribuent à la santé et à la richesse des populations, à commencer par les classes populaires, les populations racisées, les communautés indigènes qui sont en première ligne face à la crise climatique et dans les luttes collectives pour la justice environnementale. Décriminaliser, « désemprisonner » et démilitariser les espaces à tous les niveaux de la société. Faire en sorte que les populations soient légalement et matériellement en mesure de répondre elles-mêmes aux besoins humains selon des modalités qui corrigent les injustices sociales et environnementales, y compris l’oppression économique, raciale, coloniale et de genre. Travailler au sein des villes grandes et moyennes et des communautés rurales pour que la vie soit meilleure et plus durable grâce à une meilleure utilisation de la terre, une redensification contre l’étalement urbain, et des aides pour la reconversion des ménages et des quartiers. Financer les efforts de décontamination ciblés pour combattre les injustices environnementales et répondre au besoin d’air, d’eau et de terre sains pour toutes et tous. Aider les populations à préparer leur résilience et à se préparer aussi aux chocs climatiques, aux pénuries matérielles, à tout ce qu’entraine le fait d’avoir outrepassé les limites imposées par la planète.
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Démilitariser, décoloniser et aller vers un avenir de coopération et de solidarité internationale
Mettre en oeuvre des politiques et participer à des traités qui répondent à la menace existentielle que constitue le changement climatique et abandonner la stratégie funeste de domination militaire globale. Les engagements des Etats-Unis dans les traités doivent prendre en compte notre responsabilité historique à l’origine du taux d’émission de gaz à effet de serre le plus élevé, aussi bien à l’échelle individuelle que globale, émissions qui vont provoquer le changement climatique auquel feront face les générations futures. Construire un consensus dans l’ensemble des pays du “Global North » sur des objectifs de baisse des émissions qui soient très en deçà de ceux fixés aux pays moins industrialisés, qui sont ceux qui ont le moins contribué au réchauffement et qui pourtant paieront le prix le plus lourd. Accueillir les réfugiés, partager gratuitement les technologies qui peuvent sauver des vies et, comme l’exigent les peuples des pays du « Global South », auprès desquels nous sommes endettés sur le plan matériel et énergétique, leur fournir les ressources nécessaires pour réduire les émissions et adapter les processus. Reconnaître la souveraineté des peuples Indigènes, dont le consentement préalable, donné librement et après avoir été pleinement informés, est indispensable avant la mise en place de toute activité qui aura un effet sur leur territoire ou leur environnement. Accepter les décisions des communautés indigènes en ce qui concerne la construction de futurs infrastructures écologiques qui ont un impact sur leurs terres et les êtres vivants qui y vivent. Mettre un terme à la présence, à l’influence, à l’occupation militaires des Etats-Unis partout dans le monde. Mettre fin aux aides militaires et aux ventes d’armes. Démilitariser nos frontières.
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Redistribuer les ressources des pires pollueurs …
… au moyen d’impôts justes et progressifs sur les riches, sur les grandes entreprises et sur l’industrie polluante, et en réattribuant des fonds jusqu’ici utilisés pour la police, les prisons, et l’énorme budget militaire de notre gouvernement, qui n’est pas destiné à défendre celles et ceux qui habitent au sein des frontières des Etats-Unis, mais à maintenir sa domination impérialiste sur les autres pays et le contrôle capitaliste des ressources mondiales. La politique monétaire des Etats-Unis a assez financé des guerres interminables et l’extraction de richesses par les élites – il est temps de l’utiliser pour financer la transformation dont nous avons besoin.
Ces principes directeurs ne sont qu’un point de départ, pas un point d’arrivée, en ce qui concerne l’engagement de DSA dans la campagne pour un New Deal vert. Nous soutenons l’appel de Climate Justice Alliance à développer un processus de New Deal vert qui soit transparent, inclusif et démocratique. Nous tenons à prévenir tout le personnel politique que nous n’accepterons pas un New Deal vert dilué qui leur servirait de simple slogan électoral. De deux choses l’une : soit il se battent pour le New Deal vert radical qui émerge de notre coalition, soit ils collaborent de fait avec l’élite qui se livre à un écocide et n’a que faire de notre avenir.
Notre rôle est d’aider à construire un mouvement militant ancré dans les classes populaires et le monde du travail, dont la puissance suffise à assurer l’épanouissement de l’humanité pour toutes et tous au-delà des décennies décisives qui sont devant nous, et pas juste la survie d’un petit nombre. Ensemble, nous pouvons briser le pouvoir des capitalistes et garantir la reconstitution d’une nature vivante qui abrite l’humanité – et toutes les formes de vie – pour les générations à venir.
Traduction Ingrid Hayes.