« Dans les banlieues, nous ne devons plus avoir la main qui tremble » : le titre de la tribune de Valérie Pécresse, publiée dans Le Monde du 10 septembre, affiche un parti pris méprisant et menaçant à l’égard de territoires et de populations qu’elle a, en principe, la charge de défendre et de représenter. Assumant l’objectif de « détruire résolument nos grands ensembles », la présidente de la région Ile-de-France défend la priorité du rétablissement de l’autorité, la fin du bracelet électronique ou la création de nouvelles places de prison.
Après tant d’autres, elle propose un axe majeur pour répondre aux profondes difficultés rencontrées par les habitants de banlieues populaires : la répression. Maintenant qu’Emmanuel Macron s’est installé sur ses terres, la droite, même quand elle se veut plus sociale et plus moderne, semble courir après l’extrême droite qui lui tond la laine sur le dos. Dans cette course électoraliste, ce sont les termes du débat qui se trouvent dangereusement infléchis. Même les efforts conduits depuis vingt ans pour transformer les quartiers populaires sont rabaissés à du « ripolinage des murs et des façades ». Améliorer le bâti grâce à la rénovation urbaine ne change pas toute la vie, mais permet souvent de vivre dans un cadre plus agréable. Ce n’est pas rien. Et c’est précisément ce fil de progrès qu’il faut aujourd’hui tirer résolument.
L’ignorance à l’égard des quartiers populaires est trop souvent portée en bandoulière par une droite sûre d’elle-même, guidée par le mépris de classe et le rejet de l’altérité. Ces banlieues ne seraient que désespoir, solitude, ghetto, trafic, violence et islamisme. Comme si les visites officielles ou le prisme des seules images vues à la télévision empêchaient de mesurer la richesse du tissu associatif, la créativité, l’énergie, la solidarité qui font aussi partie du quotidien de ces quartiers, cibles d’une stigmatisation aux effets désastreux. Il y a bien plus de finesse du regard dans le film de Grand Corps Malade et Mehdi Idir qui triomphe sur nos écrans : La Vie scolaire nous immerge dans un collège de Saint-Denis où les élèves se débattent avec malice et ténacité, soutenus par l’humour, l’entraide et la compréhension.
L’inégalité au cœur des difficultés
Députée de Seine-Saint-Denis, je peux témoigner de l’engagement de ses habitants pour construire une vie digne dans un climat qui ne leur facilite vraiment pas la tâche. Le rapport des députés François Cornut-Gentille et Rodrigue Kokouendo remis l’an dernier sur ce département pointe le grave et constant défaut des moyens que l’Etat y consacre. Un exemple : « Le moins bien doté des établissements scolaires parisiens reste mieux doté que le plus doté des établissements de la Seine-Saint-Denis », soulignait le sociologue Benjamin Moignard, interrogé pour ce rapport.
Le cœur des difficultés dans les quartiers populaires porte un nom : c’est l’inégalité. Moins de services publics, moins d’emplois disponibles, moins de lieux culturels, moins de ressources pour les collectivités qu’ailleurs. Plus de pauvreté, plus de précarité, plus de difficultés sociales, plus de défiance, sans compter les discriminations au faciès, au nom ou à l’adresse. En matière de justice ou de santé, de budgets des communes, ces banlieues sont maltraitées par la République. Des municipalités ont d’ailleurs porté plainte contre l’Etat pour rupture d’égalité. Nous en sommes là. Dans le ressentiment qui s’exprime parfois avec virulence vis-à-vis de la République, j’entends au fond une demande de plus de République. La devise « Liberté, égalité, fraternité » ne doit pas seulement être inscrite sur le fronton des écoles, elle doit se traduire dans l’action publique. Le sentiment d’abandon et la panne de la dynamique d’égalité doivent être pris au sérieux et endigués par un investissement inédit, une valorisation, un soutien.
Deux visions clairement opposées
Ces difficultés ont une histoire qu’il faut connaître et réparer : celle d’un Etat qui, dès l’origine, a sous-investi en considérant que seul le logement était une obligation pour héberger les ouvriers de nos usines et les maçons de nos villes. Mais cette histoire est aussi celle des luttes de ce qui n’était pas encore la banlieue pour conquérir l’eau, l’électricité, les pavés sur les routes. La construction, aujourd’hui en cours, du métro qui va enfin mieux desservir ces quartiers est aussi le résultat de la ténacité des élus pour que le Grand Paris appartienne, aussi, aux habitants des banlieues. Au moment où le prix moyen du mètre carré dépasse les 10 000 euros à Paris, la droite s’en prend au logement social des quartiers populaires, qu’elle entend « plafonner ». Veut-elle reléguer toujours plus loin leurs habitants, qui n’ont pas décidé de disparaître et qui continuent de se battre pour bien vivre dans la métropole ? Au moment où chacun chante sa conversion écologique, qui peut penser qu’on peut les obliger à d’insensés déplacements quotidiens ? Et qui peut croire qu’une hypothétique arrivée des classes moyennes viendra sauver ces quartiers ? En pointant leurs habitants du doigt, on ne fait qu’alimenter la ségrégation qui ruine notre société.
La peur et la résignation vont-elles cesser par la seule présence policière et l’inflation des sanctions ? Quel angélisme et quelle naïveté que de le croire ! Et pourtant, je me bats pour un commissariat de plein exercice à Sevran, parce que nous sommes tellement sous-dotés en présence policière dans notre ville qu’une femme qui voudrait, par exemple, porter plainte pour viol en pleine nuit doit aller à Aulnay-sous-Bois et attendre dans la rue qu’un fonctionnaire soit disponible. Mais le volet de la répression vient quand nous avons échoué sur tout le reste. Valérie Pécresse réactive une confrontation de fond, avec deux visions clairement opposées : la solution par l’égalité ou par la répression. A mon sens, « la main qui tremble », pour l’instant, c’est plutôt celle de l’Etat quand on lui demande de signer un vaste plan pour combattre, dans les banlieues, cette inégalité qui nous asphyxie. C’est là qu’il faut porter un haut niveau d’exigence.