Le 20 juillet 2019 s’est tenu la 3ème édition de la marche pour réclamer justice et vérité pour Adama Traoré, jeune homme noir de 24 ans à Beaumont-sur-Oise, mort dans les mains de la gendarmerie en juillet 2016.
Cette 3ème édition a réuni plusieurs milliers de personnes qui ont marché de la gare de Persan-Beaumont au quartier de Boyenval où vivait Adama Traoré pour un meeting suivi d’un concert. Alors que le risque de l’oubli augmente forcément à mesure que les années passent, il est important de relever que la participation a été plus importante qu’à la deuxième édition. Si la présence policière était discrète, la marche a été confrontée à de multiples vexations irresponsables des pouvoirs publics : contrôle des manifestants venus par autobus dont les identités ont été enregistrées, fermeture de la gare de Persan-Beaumont aux horaires d’arrivée pour la marche obligeant les manifestants à passer pour un minuscule passage en file indienne, présence provocatrice d’un gendarme en civil sur le toit de la gendarmerie de Persan toisant les manifestants. Ces faits ne sont pas anecdotiques, ils révèlent une hostilité hargneuse qui, bien que contenue, n’en est pas moins réelle.
La progression de cette 3ème marche tient à l’effort d’organisation du Comité Adama et à l’approche « grand angle » qu’il a adopté pour cette manifestation en la plaçant sous le mort d’ordre « Ripostons à l’autoritarisme ! ». Ce mot d’ordre a permis de faire marcher côte à côte des comités Justice et Vérité contre des violences policières racistes, des gilets jaunes et des représentants de l’ensemble gauche écologique sociale et politique anti-austérité venu-e-s en soutien respectueux de l’autonomie. La présence de gilets jaunes et la volonté de donner à voir la possibilité d’une jonction entre secteurs de la société a indéniablement constitué la « nouveauté » de cette marche par rapport aux précédentes éditions.
Ainsi, si cette marche porte bien évidemment sur le combat de la famille et du Comité Adama pour réclamer justice et vérité au sujet de cette affaire sur le terrain judiciaire et social, sa portée ne s’y limite pas.
D’abord, elle englobe la défense des frères d’Adama et d’Assa, porte-parole du collectif dont la lutte est désormais bien connue, qui font l’objet d’un véritable acharnement judiciaire. Actuellement, deux de ces frères sont incarcérés – Bagui et Yacouba – tandis qu’un troisième -Youssouf- était sorti de détention pour « outrage et menace de mort » 3 jours avant la marche.
Ensuite, elle draine une grande partie des « comités justice et vérité » constitués qui sont intervenues lors du meeting à Boyenval : pour Angelo Garand, issu de la communauté des gens du voyage, tué par 5 balles tirées par des gendarmes près de Blois alors qu’il était désarmé ; pour Babacar Gueye, tué de cinq balles par la police à Rennes alors que proie à des troubles il s’automutilait ; pour Lamine Dieng mort étouffé dans les mains de la police dans le 20ème arrondissement de Paris et dont la sœur Ramata mène une lutte pour l’interdiction de l’usage par la police des techniques d’immobilisation mortelles ; pour Gaye Camara tué dans son véhicule d’une balle dans la tête par un policier alors qu’il était désarmé à Epinay-sur-Seine ; pour Ali Ziri, 69 ans, mort lors d’une interpellation à Argenteuil (une affaire pour laquelle la Cour européenne des droits de l’homme a condamné l’Etat français pour « négligence ») ; pour Zakaria pris de convulsion dans sa cellule de prison, transporté à l’hôpital et décédé d’une crise cardiaque après un coup de taser asséné par un policier ; pour Curtis mort à Massy mort percuté par un bus alors qu’il fuyait la police ; pour Selom et Matisse percutés par un train alors qu’ils fuyaient la police également… Ces derniers cas de décès suite à des fuites devant l’arrivée de la police font pleinement partie des effets des violences policières racistes. C’est parce qu’il y a ces violences policières racistes -dont les décès sont la pointe immergée de l’iceberg- que des jeunes préfèrent partir en courant à l’arrivée de policier comme le résume parfaitement la formule « Adama nous rappelle pourquoi Zyed et Bouna fuyaient » en référence aux deux jeunes morts électrocutés à Clichy-sous-Bois en tentant de fuir, ce qui avait déclenché la révolte des quartiers populaires de 2005. Aux cas évoqués par ces interventions, il serait malheureusement possible d’en ajouter d’autres : Théo à qui des policiers ont introduit une matraque dans l’anus lors d’une interpellation à Aulnay-sous-Bois, Wissam à Clermont-Ferrand, Amine Bentounsi tué d’une balle dans le dos par un policier et dont la sœur anime « Urgence notre police assassine », Liu Shaolin à Paris 19ème… Au final, l’ensemble des témoignages de ces familles et collectifs dressent le tableau d’un problème social de racisme structurel allant au-delà de simples cas de bavures.
Or, ce racisme structurel s’exerce bien évidemment également contre les migrants comme l’ont rappelé à la tribune des « gilets noirs », des travailleurs sans-papiers exploités par Chronopost à Alfortville et un représentant de l’Union Nationale des Sans-Papiers. En outre, la solidarité a été exprimée pour Antonin Bernanos, antifasciste incarcéré et placé à l’isolement depuis 3 mois.
Toutefois, comme indiqué précédemment, la « nouveauté » était la présence de « Gilets Jaunes ». La figure de Zineb Redouane faisait évidemment le lien : cette marseillaise de 80 ans tuée par un tir de gaz lacrymogène alors qu’elle était à sa fenêtre au 4ème étage est un symbole alors que son cas a fait l’objet d’obstructions manifestes relayées par la presse de la part du procureur et des policiers. En outre, les nombreuses mutilations subies par les Gilets Jaunes ont contribué à une prise de conscience dans des franges participant activement aux mobilisations. Ainsi, des représentantes de « l’Assemblée des Assemblées » venues de Saint-Nazaire ont exprimé leur solidarité envers les familles présentes. Elles ont également rappelé la question lancinante « Où est Steve ? » qui avait déjà été scandée lors de la marche. L’incapacité des pouvoirs publics à donner une réponse satisfaisante à une question aussi simplement dramatique un mois après les faits était un autre résumé de la faillite du sinistre Christophe Castaner dont la démission était unanimement réclamée.
Il convient enfin de relever la brève intervention de Maxime « Fly Rider » Nicolle à la tribune, figure des Gilets Jaunes avec une popularité certaine sur les réseaux sociaux (tout en refusant le statut de « représentant »). En effet, alors que l’ « Assemblée des Assemblées » a pu être considéré comme le secteur « gauche plus démocratie directe » du mouvement des Gilets Jaunes, M.Nicolle présentait un profil pouvant être bien plus sujet à des débats légitimes, en relayant par exemple les théories conspirationnistes des réseaux d’extrême-droite sur le pacte de Marrakech des Nations-Unies sur les migrations. Or, ce 20 juillet 2019, M.Nicolle est intervenu après des familles victimes de violences policières et des sans-papiers lors d’une marche antiraciste en commençant son intervention ainsi :
« Je commencerai par un ‘je m’excuse’, je m’excuse parce que depuis des années vous vivez des choses qu’on vit depuis 8 mois, 9 mois presque. Vous perdez des frères, des seours, des cousins, des cousines, et nous on apprend ça et on dit ‘ptin on est des gilets jaunes, on s’en prend plein la gueule’ alors que vous vivez pire que nous depuis des années. Et les politiciens diront jamais ce mot là mais : pardon, pardon de ne pas avoir su, pardon de pas avoir entendu, pardon d’avoir cru ce que les médias disaient (applaudissements de la foule) » pour finir par un appel à la convergence à tou-te-s les présents. Cette intervention rappelle aussi qu’un réel mouvement est la plus formidable source de conscientisation et que l’histoire opère par bonds.
Des cyniques ou des blasés pourront retorquer que tout cela est encore minoritaire ou marginal. On pourra répondre qu’il faut bien naître quelque part.
Emre Öngün