Tout d’abord un regret : peu de choses dans ces débats post électoraux sur la situation internationale. Pourtant les nuages s’accumulent : risques de nouvelle crise financière, escalade de la guerre commerciale, extra territorialité du droit américain et sanctions économiques barbares contre les peuples, accords de libre-échange (CETA, UE/MERCOSUR etc..) aux conséquences sociales très lourdes notamment dans l’agriculture, bruits de bottes au Proche Orient, le tout dans un chaos géopolitique mondial. Il serait bon de sortir un peu de l’hexagone.
Car si les derniers résultats électoraux sont très préoccupants, ils sont aussi volatiles témoignant de l’instabilité du corps électoral, conséquence de la gravité de la crise politique et sociale. Pour mémoire, il y a 2 ans on ne donnait pas cher de l’avenir de Marine Le Pen et du FN après le 2° tour de la Présidentielle. EELV était exsangue sur le plan financier et militant, Yannick Jadot se ralliait à Benoît Hamon, avec un score de 6,4 %. Le score de JLM atteignait presque 20 %. Sans oublier les résultats de Fillon avant son retrait, à comparer avec ceux de LR aujourd’hui (8 %). Un recul spectaculaire aux conséquences politiques inédites : l’affaiblissement historique du parti traditionnel de la droite (rassemblant les 3 droites conservatrice, libérale et bonapartiste) au profit d’une nouvelle droite libérale autoritaire, celle de Macron. De manière générale, les scrutins récents, le dernier en particulier , se caractérisent par une « infidélité électorale ». Néanmoins, c’est Marine le Pen qui capitalise le vote sanction. Le référendum anti Macron s’est exprimé par le vote RN. Tout cela sur fond de participation accrue, à condition toutefois de ne pas oublier qu’un électeur sur deux s’est abstenu. Une abstention qui a en premier lieu affecté l’électorat de gauche, celui qui avait voté JLM en 2017, alors que la participation plus élevée notamment de la jeunesse a d’abord bénéficié à EELV. Il y a quelque temps de nombreux démographes contestaient le vote « ouvrier » du FN. C’était rassurant mais hélas toutes les analyses récentes confirment son emprise sur l’électorat populaire du moins parmi ceux qui se rendent aux urnes. Et la stratégie de Macron vise à renforcer Le Pen, condition de sa réélection, comme le fit Mitterrand en son temps. Le Hyaric, dirigeant du PCF, le reconnaît aujourd’hui « l’extrême droite est devenue le réceptacle des souffrances d’une part très importante des milieux populaires ». Pourquoi la gauche radicale n’a-t-elle pas de crédibilité gouvernementale auprès des milieux populaires? Il devient urgent d’analyser nos échecs, nos erreurs. Le RN et l’abstention ont asséché la LFI. Le paradoxe est qu’une partie significative des Gilets Jaunes s’est inspirée du programme de LFI.
L’effet cumulatif des défaites n’est pas propre à la France. La gauche radicale connaît un déclin presque partout, à l’exception du Bloco au Portugal (cf le texte de Samy), à l’exception aussi des Etats-Unis où elle progresse. L’Amérique latine faisait exception au début de ce siècle, le retournement a été brutal. Mais les cycles politiques sur le continent latino-américain se caractérisent par leur instabilité. Les mouvements sociaux sont sur la défensive mais des mobilisations très importantes ont repris au Brésil et en Argentine.
Et LFI ?
Ces rappels ne dispensent pas de faire le bilan de LFI. Et le contexte socio politique ne suffit pas à expliquer ses déboires électoraux. Faut-il incriminer la ligne politique de la campagne de Manon Aubry ? Une campagne assez classique, altermondialiste, écolo comme l’ont remarqué plusieurs contributions. Déjà avant l’élection, plusieurs indicateurs témoignaient d’une perte d’influence. Les perquisitions semblent avoir marqué un tournant. Certes, les médias ont mené une campagne d’une violence incessante qui s’apparente à de la diffamation. Mais on ne peut en rester là. Nous sommes confrontés à un problème politique à part entière: les conceptions et les pratiques d’un leader (j’emploie le mot à dessein) rendent très difficile la construction d’une organisation ou d’un mouvement pluraliste, démocratique et unifié, un processus incontournable dans la situation. Il ne s’agit pas d’un problème personnel, mais d’un obstacle politique. Combattre ces pratiques est d’autant plus difficile que le dirigeant en question a un grand talent politique, pédagogique, et un sens aigu des rapports de forces (l’admiration de JLM pour F.Mitterrand n’en fait pas pour autant un dirigeant social-démocrate). Mais, l’histoire nous l’a appris, ces conceptions ont un coût, l’impossibilité de corriger les erreurs, les tournants non maîtrisés, la démobilisation. Les tentatives de mettre sur pied un « Conseil Scientifique », un lieu de réflexion et d’élaboration ouvert, non soumis à une discipline politique, ont échoué, ce qui s’est traduit par un projet parallèle extérieur à LFI.
Ces pratiques, et un rapport de forces insuffisant en faveur de la 3° composante, ont eu raison du Front de Gauche. Ceux qui étaient à la coordination nationale du FDG s’en souviennent. JLM, qui refusait initialement l’adhésion directe au FG en dehors des partis constitutifs, a sa part de responsabilité dans la rupture, face au PCF manoeuvrant en fonction de ses intérêts d’appareil entre l’Union de la Gauche avec le PS et la construction du FG. Le PCF paye aujourd’hui son absence d’alternative stratégique à l’Union de la gauche. Il n’a plus beaucoup d’électeurs mais il a encore une force militante, on l’a vu lors de la campagne de son candidat.
Après la victoire de Macron et ses attaques frontales, il fallait reprendre une initiative unitaire. Le cri de ralliement était « Résistance » mais sans Front de résistance…alors que le résultat de la Présidentielle mettait LFI en position de force. Or, JLM a fait l’inverse. Aujourd’hui, il propose une fédération populaire, une variante de Front Unique à la base, alors qu’il est en position de faiblesse. Mais ne nous trompons pas. LFI n’a pas disparu, son capital militant est affaibli mais il est encore substantiel, c’est la seule organisation de la gauche radicale disposant d’un groupe à l’Assemblée et au Parlement Européen avec les ressources organisationnelles et politiques qui vont avec.
Aujourd’hui, le statu quo n’est pas possible, il faut bouger. Il est indispensable de répondre à la volonté unitaire. Il faut rassembler mais avec qui ? Comment ? Sur quelle base ? La séquence politique dans les mois qui viennent peut permettre de faire un premier pas en rassemblant largement et dans l’action. La première échéance, c’est la privatisation d’ADP. Cette campagne fixe un objectif précis avec une symbolique antilibérale qui dépasse les appartenances politiques partidaires. Faire une campagne d’éducation populaire peut avoir un écho de masse compte tenu des forces politiques qui l’ont initiée, et toucher des milieux populaires qui ne se mobilisent pas en raison de l’extrême fragmentation sociale et des radicalisations éclatées. La collecte des signatures peut être l’occasion de créer des collectifs locaux, de peser sur le PCF, sur LFI, et de favoriser une clarification politique, un test pour EELV. Enfin, l’enjeu est de taille : infliger une défaite politique à Macron sur un tel sujet serait un tournant permettant d’enrayer le cycle des défaites si les 4,5 millions de signatures sont réunies.
Enfin, la réussite de cette campagne aurait un impact fort sur les Municipales quelques mois plus tard. L’élection se présenterait dans des conditions beaucoup plus favorables en cas de résultat positif. La possibilité de « rassembler à gauche » en serait renforcée sur la base d’une expérience mobilisatrice. Inversement, une défaite de ce référendum aurait des conséquences très négatives.
Les pétitions nationales appelant en des termes généraux à un rassemblement unitaire et pluraliste ne suffisent pas pour construire un front populaire. Les bonnes intentions déclarées ne sont pas en cause mais les appels à l’unité du PCF, de B .Hamon et d’autres visaient d’abord à promouvoir leurs intérêts d’appareil. Il faut rechercher les moyens de mobiliser sur des objectifs concrets. ADP peut en être l’occasion. C’est sur la base de mobilisations unitaires qu’on pourra créer un front regroupant les forces de la gauche en rupture avec la politique du PS et de la social-démocratie européenne. Cela devrait être l’objectif des militants hors LFI et dans LFI, qui reste à ce jour malgré ses contre-performances l’outil principal de ce combat.
Janette Habel