La mobilisation des gilets jaunes est un succès éclatant. Le ras-le-bol d’être « ponctionné », les difficultés de la vie quotidienne en sont le ciment. L’expression revendicative de ce mouvement ne se résume pas au refus de l’augmentation de la TICPE. Elle est plus foisonnante, contre la baisse des APL pour les jeunes, contre la baisse des revenus des retraités ou la réforme des retraites, contre la misère… On voit même des pancartes contre les privatisations.
Le Medef ne s’y trompe pas puisqu’il appuie le gouvernement, condamne le mouvement et se plaint déjà des dégâts économiques consécutifs aux blocages. Même le patronat routier cherche à dissuader les camionneurs qui seraient tentés de bloquer.
Ce mouvement est divers en termes d’age et de statut social : les classes moyennes côtoient des personnes en grande souffrance sociale. Des électeurs de la FI ou du FN côtoient même une partie de ceux qui ont voté Macron dès le premier tour. On voit souvent, pendant que les dirigeants de premier plan des centrales syndicales font la fine bouche, des militants, notamment CGT, qui sont présents et mettent leur expérience au service de cette lutte.
Personne ne peut prévoir comment ce mouvement va tourner mais on sait déjà qu’il laissera des traces.
Contrairement à ce que l’on pouvait craindre, les expressions racistes, sexistes, homophobes, pour ignobles et scandaleuses qu’elles soient, sont heureusement peu nombreuses au regard de la masse des manifestants. Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de confusions ni d’idées de droite extrême dans des têtes mais que ce n’est pas ce qui domine aujourd’hui.
Le risque que ce mouvement puisse être un nouveau terreau pour l’extrême droite dans sa conquête du pouvoir existe et celle-ci cherche bien évidemment à le récupérer. Pour le moment, elle n’y parvient pas vraiment. La propagande du FN et de DLF est certes très active mais elle ne parvient pas à s’imposer car le mouvement continue d’afficher son indépendance politique.
L’enjeu, depuis le début et notamment dans les jours qui viennent, c’est d’être en capacité d’empêcher cette récupération politique et de disputer aux fascistes « l’hégémonie » en terme d’idées et stratégie pour gagner. Laisser le FN et ses alliés agir seuls, et surtout laisser les centaines de milliers de gens sincèrement et honnêtement mobilisés sans véritable contrepoids de gauche, serait la pire des choses. Une intervention déterminée des forces associatives, syndicales et politiques de notre camp au sein de ce mouvement est donc indispensable.
Tous ces éléments invalident les comparaisons avec le mouvement poujadiste (basé sur la petite bourgeoisie) ou avec le 6 février 34 qui se sont beaucoup diffusées à gauche. Si l’extrême-droite peut toujours espérer marcher vers le pouvoir en France, sa poussée n’est pas irrésistible. Il existait et il existe toujours une place pour une bataille politique de gauche, en défense d’une autre voie face au libéralisme.
Ce mouvement s’est lancé et s’organise via les réseaux sociaux. C’est une réplique en grand de ce que font souvent les étudiants et les lycéens. Ce n’est pas la première fois qu’une pétition réussie sur le net annonce un mouvement d’ampleur mais c’est la première fois qu’on a une concrétisation en France, à un tel niveau, sans direction politique et sans forces militantes organisées pour en constituer la colonne vertébrale. On a ici la confirmation d’une mutation des formes d’organisation et de mobilisation.
On avait déjà eu une première indication de l’ampleur de ce phénomène avec les mobilisations climat en septembre et début octobre et on peut aussi évoquer les révolutions arabes de l’année 2011 qui ont vu les réseaux sociaux jouer un rôle essentiel.
Ces nouvelles formes de mobilisation vont donc durer et se répéter. C’est la raison pour laquelle le mouvement ouvrier et le mouvement social doivent s’adapter ou prendre le risque d’être de plus en plus marginalisés.
Si le FN et Debout la France ont bien vu venir cette mobilisation, à gauche, un certain nombre de forces ont sous-estimé la force du mouvement ou surestimé l’impact des thèses et de la présence militante de l’extrême-droite. Il faut corriger cette erreur et c’est fort heureusement ce qui a commencé. Partout où nous le pouvons, nous devons œuvrer à des appels unitaires les plus larges possibles, comme il y en a déjà eu à Nantes, à Toulouse, à Montpellier. Des appels qui doivent de plus en plus clairement soutenir le mouvement en cours. Il faut militer pour la généralisation et l’extension de la lutte.
A l’heure où ces lignes sont écrites, le mouvement est politiquement ascendant. Personne ne peut dire où il va mais pour la FI, comme pour toutes les forces de la gauche radicale, il s’agit de l’encourager, d’y participer tout en faisant entendre les réponses politiques « rouge et vertes ».
Les gilets jaunes ont pris clairement pour cible Macron et leur ténacité, combinée à une grande suffisance de l’exécutif, peut amener à une crise politique majeure. Il faut continuer à agir tant que le mouvement tient et soutenir l’appel à marcher vers l’Elysée samedi prochain même si l’on sait que tout le monde ne pourra pas « monter » à Paris.
La FI est une des rares composantes de la gauche à avoir compris assez vite ce qui se jouait. En témoigne l’appel du groupe de députés (https://lafranceinsoumise.fr/2018/10/31/17-novembre-une-indignation-legitime-contre-la-hausse-des-prix/) et la réaction à la base d’une très grande partie des militant-e-s qui sont sortis avec leurs gilets jaunes. Cela atteste d’une lucidité de bon augure. Ainsi la FI apparaît comme la seule force crédible à gauche pour combattre Macron et faire contrepoids à Le Pen.
Toutes les difficultés rencontrées par la FI ces derniers temps ne s’en trouvent certes pas effacées et le chemin vers la prise du pouvoir reste semé d’embûches. Mais la FI a des atouts. Elle est toujours la principale force électorale à gauche et de ce fait, elle a la capacité de tirer profit de la situation. Même si le taux d’abstention record de la législative partielle dans l’Essonne interdit de grandes conclusions définitives, le fait que Farida Amrani soit présente au second tour et soit en capacité d’être députée en est une illustration supplémentaire qui souligne aussi les graves erreurs de ceux qui préfèrent soutenir des candidatures de division (celle du candidat PCF) et ou des candidatures marginales (celle du NPA). Notons au passage enfin au crédit de la FI le succès de la rencontre nationale des quartiers populaires.
En tout état de cause, à travers l’existence de la FI, il existe une toujours une gauche digne de ce nom. C’est bien précieux car ce n’est plus le cas dans de trop nombreux pays.
Fred Borras (Ensemble Insoumis – Toulouse). Le 20 novembre 2018.