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Noailles se meurt, Marseille est en colère.

C’est le 5 novembre au matin que les immeubles des 63 et 65 rue d’Aubagne à Marseille se sont écroulés, entraînant par la suite l’effondrement d’un 3e immeuble et l’évacuation de tout l’îlot. Mais c’est bien avant que tout s’est joué. Expertises, contre-expertises, pompiers, évacuation, puis : « Rentrez chez vous, tout va bien ! ». Le bilan est de huit morts et 834 personnes ont été évacuées d’urgence, dans des hôtels, des logements de fortune. Une immense colère s’est emparée de la ville. Elle couvait depuis des années, elle a explosé.

L’abandon des pauvres.

Quand on est marseillais.e, quand on est militant.e marseillais, on sait que rien ne va dans cette ville. Enfin, rien ne va pour certain.e. Marseille est la deuxième ville de France mais c’est aussi la grande ville qui concentre les quartiers les plus pauvres du pays. Dans « La fabrique du monstre », Pujol mettait en avant cette concentration de la misère et l’abandon total de la Mairie. Il suffit de lire le rapport de mai 2018, de Philippe Langevin, réalisé avec les associations chrétiennes de la ville pour voir les accumulations de misères. Ici c’est un quart de la population qui vit au-dessous du seuil de pauvreté. Mais à l’opposé il y a aussi une des riches et des très riches, enfermés dans leurs quartiers. A Marseille deux villes se font face, et l’une écrase l’autre de son indifférence et de son mépris. Par ailleurs, contrairement aux autres grandes villes, les plus défavorisés vivent aussi au centre-ville.

La deuxième particularité de cette ville c’est le choix fait par la municipalité Gaudin, au pouvoir depuis 23 ans, d’un abandon total des populations des quartiers défavorisés. Dans les années 1990, la municipalité constate une perte conséquente de population. L’idée est de réhabiliter le centre pour attirer d’autres populations. Le projet Euromed, plus grand projet de réhabilitation européen, est la base de ce reclassement. Avec le TGV en 3 heures, le MUCEM et l’aménagement des quartiers littoraux et du Panier, on peut enfin gentrifier comme les autres grandes villes du pays ! Mais pour faire cela, il faut se séparer définitivement de ce cœur citadin, pauvre et cosmopolite. La municipalité profite de cette période pour céder le patrimoine au privé, rénover et augmenter les loyers, donc rendre impossible le retour des classes populaires. Evidemment, les promoteurs préfèrent laisser des logements vides en attendant des jours meilleurs. Durant cette période les quartiers Nord et trois quartiers populaires du centre : Noailles, la Belle de Mai et la Villette, sont littéralement abandonnés. Ces derniers en particulier concentrent les populations les plus pauvres, souvent issues de l’immigration plus ou moins récente. Dans ces quartiers populaires dégradés du centre s’ajoute un accès à la toute petite propriété, mais les habitant.es ne sont pas solvables pour un entretien de leur bien immobilier. Ainsi, alors que d’autres secteurs du centre connaissaient des réhabilitations, quitte à en profiter pour chasser les pauvres, la municipalité a depuis le début des années 2000 laissé pourrir ces quartiers du centre-ville, espérant que le délabrement soit tel que les immeubles se videraient progressivement. Comment se fait-il que le quartier Noailles n’ait bénéficié d’aucun programme de réhabilitation, alors que le Panier à la fin des années 1990, et Belsunce au début des années 2000 ont bénéficié de PRI ? Alors même que depuis le début des années 2000 le projet Euromed a complètement reconfiguré le centre-ville ?

La situation devient tellement critique qu’en 2015, le rapport Nicols déclare 40 000 logements insalubres ou indignes. Gaudin a avoué la semaine dernière ne l’avoir pas lu.

Gaudin et les autres….. Incapables, corrompus, assassins !

Ce que fait ressortir ce drame, au final, avec les enquêtes qui débutent et les divers témoignages, c’est qu’au-delà d’un choix politique meurtrier, c’est aussi une succession d’incompétences et d’arrangements entre amis qui sont cause de la tragédie.

Dans les premières heures, c’est tout le mépris de la municipalité Gaudin contre cette population qu’elle ignore depuis tant d’années qui s’exprime. Les CRS intervenant sur place, sont casqués et équipés de boucliers. L’adjointe Arlette Fructus accuse la pluie. Au mépris municipal, s’ajoute le mépris national : seul le ministre de l’intérieur fera un bref déplacement. C’est normal, c’est Marseille.

L’évacuation de l’îlot a lieu dans la précipitation. Les riverains ont 15 minutes pour vider leur appartement. Ils sont dispersés dans des hôtels et des hébergements d’urgence, parfois très loin du centre. Les écoles, les collèges et lycées reçoivent les enfants traumatisés ou délogés sans aucune consigne, aucun moyen ad hoc, ni concertation avec la mairie. Les agents des services sociaux de la ville volontaires pour gérer la crise sont réunis. Que doivent-ils faire ? On ne sait pas…. Qu’ils se débrouillent !

Alors qui était responsable ? En 2016, une subvention publique a été versée à la SCI propriétaire pour la réhabilitation du 65 rue d’Aubagne, l’un des immeubles effondrés. Les travaux ont-ils été réalisés ? C’est ce que se demande le procureur de la République. Parmi les actionnaires de la SCI, Xavier Cachard, vice-président aux finances de la Région… Il a été démissionné en urgence par Renaud Muselier…

Pourquoi ces immeubles, déclarés moult fois en péril, n’ont-ils pas été réhabilités ou au moins consolidés ? Pourquoi les alertes des habitant.es (la semaine précédente, la veille et l’avant-veille et le matin même) n’ont-elles pas été prises au sérieux ? Pourquoi a-t-on signifié le 18 septembre aux habitant.es qu’ils pouvaient regagner leur immeuble ? Comment se fait-il que deux des trois experts commis par la ville ne soient pas déclarés à l’ordre des experts du tribunal d’Aix-en Provence ?

Il est de plus en plus clair que l’incompétence, l’inaction coupable, le clientélisme et la corruption au sein de la mairie ont participé à créer les conditions de la tragédie. Dans la commission municipale au logement, il y a seulement deux architectes, pour une ville de 850 000 habitant.es ! La question s’est imposée à tou.tes : comment se fait-il que ce que nous dénoncions, nous militant.es du quartier, associations, habitant.es, n’ait pas été pris au sérieux ? Nous le savions, nous vous l‘avons dit, nous vous avions prévenus….. Alors, qui avait intérêt à ce que le centre-ville continue de se délabrer ?

Plus jamais ça !

Dès le soir du 5 novembre, un collectif des habitant.es et des familles des victimes, s’est organisé. Au cri de « Justice et dignité », ils ont, à la fois géré le quotidien d’un quartier meurtri et organisé les riverain.es pour obtenir réponses et réparations. Le samedi 10 novembre une marche blanche a eu lieu. Réunissant une grande partie de la population du centre-ville et d’ailleurs, cette manifestation exprimait une immense dignité et une immense colère. Pendant le défilé, sur le cours Lieutaud, un balcon s’est effondré… La colère s’est à nouveau exprimée le mercredi 14 novembre à 18h00. La foule était au rendez-vous. La tête de cortège formée par le « Collectif du 5 novembre » arborait les photos des victimes. Les cris de colère ont fusé, mêlés aux slogans de « Gaudin assassin », « Gaudin, démission », « Gaudin aux Baumettes », « Marseille, debout, soulève-toi ». Tout le mépris et les craintes ressentis par les Marseillais.es se sont exprimés là. Pourtant, ce sont les gaz lacrymogènes et des arrestations qui ont accueilli la manifestation à l’hôtel de ville. Un scandale qui s’ajoute au scandale !

Le collectif du 5 novembre a rédigé une plateforme revendicative qui traite à la fois l’urgence (frais d’obsèques, relogements décents, du temps pour prendre ses affaires, suivi scolaire, sanitaire, indemnisation…) et de l’après : une justice rapide et efficace avec transparence, une concertation avec les habitant.es pour le réaménagement du quartier et aussi une vraie réflexion autour de la politique de la ville. Pour éviter que ce drame ne permette à nouveau aux spéculateurs de mettre la main sur ce quartier ! Le collectif a pris contact avec les associations d’autres quartiers, victimes eux aussi de délabrement, d’abandon et de drames (Air Bel, Maison Blanche….). Et comme le dit Kévin VACHER, l’un de ses porte-paroles :« Ça ne suffit pas de demander la démission de M. Gaudin, il faut vraiment aller chercher les responsabilités qui sont multiples, (…) la coupe par la Région des financements destinés à la lutte contre le mal-logement, (…) l’absence de réaction des collectivités territoriales qui savaient ou avaient des dispositifs qui n’étaient pas du tout opérants« .

Autour du collectif il faut développer une large solidarité. Exiger avec lui la justice pour les victimes. Au-delà il faut créer les conditions d’un large rassemblement des citoyens pour une alternative à la gestion désastreuse de la municipalité Gaudin. Ils doivent partir et la réhabilitation des quartiers abandonnés doit être entreprise au plus tôt avec les habitants, pour les loger dans des conditions dignes.

Manue de Marseille