Durant 10 années, Dominique Pélicot a drogué sa femme – Gisèle Pélicot – et l’a faite violer par plus de 50 hommes. Hier, des milliers de femmes ont manifesté leur soutien et leur colère. Peu d’hommes à ces manifestations, selon les médias. Quelle place avons-nous dans tout cela, comment pouvons-nous aider alors que nous faisons partie du problème ?
« Si c’était un problème de femmes, ça ferait longtemps qu’on en aurait discuté entre nous et que l’on aurait agi. Vous, les hommes, vous faites comme si ce n’était pas votre problème. Alors que les violeurs, si ce n’est pas vous, ce sont vos potes, vos frères, vos pères. Bougez-vous. »
Devant une pièce de théâtre en extérieur lors du Festival de l’Hydre à Saint-Priest-Taurion, Marion est en colère. Contre moi ? Aussi. Et sa question de fond : pourquoi les hommes ne parlent pas des viols ? Pourquoi les hommes, pourquoi nous, ne nous préoccupons pas des viols commis par d’autres hommes ? Pourtant, l’adage est vrai : si tous les hommes ne sont pas des violeurs, tous les violeurs sont des hommes (97% des viols sont commis par des hommes, pour être exact).
Pourtant, on ne fait rien. On ne discute que rarement de cela. Chacun pense qu’il n’est pas concerné. Comment pouvons-nous ne pas être concernés alors que tout notre environnement est imprégné de cette culture où les femmes sont trop souvent faites objets des hommes, où qui le veut peut largement jouer avec la limite ou au-delà en étant que rarement inquiété.
J’ai toujours considéré que nous, les hommes, ne devions pas trop la ramener, pour ne pas invisibiliser les femmes en lutte. Mais peut-être que l’on devrait quand même se bouger, parce que nous sommes les coupables, les complices ou les profiteurs de cette situation.
Non, Gisèle Pélicot n’a pas été violée par des monstres mais par des hommes
Après avoir entendu l’information, j’ai eu envie de vomir. Sincèrement, à gerber. Gisèle Pelicot, 71 ans, un peu plus âgée que ma mère, a été droguée par son mari et violée par plus de 50 hommes – 51 ont été identifiés. Pendant 10 années. Retransmis sur internet. Durant dix années, son mari l’a violée ou faite violer par soumission chimique en lui administrant des médicaments de plus en plus forts, au point que les médecins ont soupçonné chez elle un Alzheimer précoce! En dix années, aucun médecin n’a d’ailleurs détecté la soumission chimique.
Peut-on qualifier son mari et les autres agresseurs de « monstres » ? Peut-être. Peut-être, mais ça ne suffit pas. Dire que les violeurs sont des monstres serait donner un caractère très exceptionnel au crime. Dans la mesure où chacun d’entre nous connaissons une ou plusieurs femmes ayant subi des agressions sexuelles ou des viols par des hommes, il est impossible de nier l’évidence : le problème est bien systémique. Il ne s’agit donc pas de corriger les monstres, mais de tout faire pour que les hommes n’agressent pas, ne violent pas. Le procès des viols commis sur Gisèle Pélicot met en lumière cet aspect systémique et à quel point nous, les hommes, nous sommes accoutumés de cette culture du viol. D’une part, on le voit avec le large panel des accusés montre des hommes qui ont de 26 à 73 ans : la culture du viol traverse les générations. Ils sont maçon, jardinier, infirmier, responsables d’entreprise, journaliste, chômeurs, sapeur-pompier, conseiller municipal, parfois condamnés, parfois non : la culture du viol traverse les classes sociales. D’autre part, « l’annonce » publiée sur un site de rencontre a été vue des centaines voire des milliers de fois. C’est autant d’hommes qui, la voyant passer, n’ont rien trouvé à redire sur le fait qu’il était proposé d’avoir un rapport sexuel avec une femme inconsciente.
« Nous sommes toutes Gisèle ! » mais pas « tous Gisèle » ?
Hier, des milliers de femmes sont descendues dans les rues en solidarité d’une part, pour demander justice d’autre part, mais surtout : pour que les viols cessent.
Tous les médias sont unanimes: peu d’hommes étaient présents.
Longtemps, je me suis considéré « allié du féminisme », porté par la volonté de ne surtout pas être cet homme qui se veut être plus féministe que les femmes. Mais dans le fond, j’ai aussi, comme d’autres, laissé aux seules femmes les questions des violences sexistes et sexuelles. De mon côté, j’ai fait de mon mieux, mais sans m’engager. Comme Marion me l’a dit, nous devons cesser cela. Je ne sais pas tout à fait comment, honnêtement. Mais nous, hommes, faisons partie du problème, nos potes font partie du problème, nos frères font partie du problème, nos pères, nos fils font partie du problème. Il est finalement inconcevable que nous ne cherchions pas nous-même à limiter voire stopper les dégâts causés par une société où l’autorité naturelle est entre nos mains qui, par définition, nous profite.
Où concrètement, moi gosse des années 2000, j’ai entendu à plusieurs reprises et donc j’ai commencé à me construire par des « si elle dit non, tu insistes, elle dira oui », « elle, faut attendre qu’elle picole, après elle est plus simple », « J’ai fait une photo tiens regarde ». Une société où concrètement, dès le début de l’adolescence, on peut tomber sur des vidéos pornographiques où la mise en scène est basée sur le consentement des femmes qui n’est pas respecté. Où 86% des plaintes pour viols ou agressions sexuelles sont classées sans suite. Une société où très concrètement, j’ai le sentiment d’avoir eu de la chance d’avoir été sermonné, formé, éduqué, sensibilisé au fil de mes rencontres et de mes expériences, sinon tout pousse à profiter d’une situation qui nous profite.
Où lorsque les femmes ont le courage de parler, on remet en cause leur parole. Où lorsque plus de 51 hommes « couchent » avec une femme inconsciente, et que certains expliquent ce n’est pas un viol, car ils avaient l’aval de son mari. Un seul s’est excusé.
Que faire, je ne sais pas tout à fait
Je ne sais pas bien quoi faire ou quoi proposer. Mais si, en tant qu’hommes, nous pouvons être utiles, soyons-le. Soyons plus solidaires des femmes et arrêtons de faire comme si tout cela ne nous concernait pas. Et posons-nous les bonnes questions à chaque fois, même si l’on pense tout faire pour le mieux.
En tant que parlementaire, nous devons nous saisir de l’affaire des viols commis sur Gisèle Pélicot pour que soit enfin enclenché un plan de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, un plan qui empêche des hommes de violer, d’agresser. La fondation des femmes demande une loi intégrale, faisons-la. Aussi, agissons pour la détection de la soumission chimique par les professionnels de santé. Embauchons des enquêteurs, finançons les associations d’aide aux victimes. Et dans le fond, levons le tabou. Les violeurs ne sont pas des monstres, ils sont comme nous, des hommes qui vivent dans une société qui peut laisser faire.
Je ne suis pas expert, je ne suis peut-être pas le mieux placé pour parler de tout ça, je ne sais pas, mais je crois qu’il y a du boulot.
Mais, à Marion, de Saint-Priest-Taurion et à vous toutes : nous sommes à vos côtés. Aux hommes qui me liront : bougeons-nous.
Damien Maudet, Député de la Haute-Vienne – La France insoumise Nouveau Front Populaire