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2022, ne pas se résigner à l’échec

L’élection présidentielle de 2022 se présente sur des mauvais auspices. Certes, les mobilisations sociales et citoyennes n’ont pas manqué ces dernières années, que ce soit le mouvement des Gilets jaunes, celui sur le climat, contre la réforme des retraites, les mobilisations anti-racistes et contre les violences policières ou les mobilisations féministes. A des degrés divers, tout cela est le signe d’une vitalité de la société française qui a mis en grande difficulté le projet macroniste. E. Macron, non seulement n’a pas pu élargir sa base électorale, mais n’a pu se maintenir qu’en phagocytant une partie de l’électorat de droite. Le spectre de la crise politique plane en permanence sur le gouvernement comme le montre l’épisode autour de l’article 24 de la loi « Sécurité globale ».

Cependant, non seulement ces mobilisations n’ont pas accouché d’une solution politique crédible, mais un vent mauvais souffle gonflé par les attentats terroristes et la crise sanitaire. Les attentats terroristes ont permis au gouvernement d’amplifier sa politique sécuritaire, de légitimer le fait d’aller sur le terrain de l’extrême droite avec la loi contre le séparatisme, prenant délibérément le risque de faire des musulmans et plus globalement des immigrés des boucs émissaires. Dans une situation où la crise sanitaire est en train de se transformer en crise sociale majeure, une incertitude radicale règne sur les évolutions politiques futures. Contrairement à une période récente – jusqu’à l’élection de Hollande en 2012 -, nous sommes dans un champ politique non stabilisé, aux coordonnées mouvantes et susceptible de transformations rapides et inattendues. Le drame est que le seul élément de stabilité est la place occupé par le RN qui est aujourd’hui à un niveau historiquement haut.

L’élection présidentielle de 2022 est donc à haut risque, non seulement parce qu’elle peut aboutir à la réélection de Macron, ou d’un candidat encore plus à droite si ce dernier s’effondre, voire même à l’apparition d’un nouveau venu inconnu aujourd’hui, mais aussi parce que le risque de la victoire de Le Pen ne plus être écarté. Cette victoire serait dramatique et ses conséquences ne peuvent être sous-estimées. Un gouvernement d’extrême droite, ce n’est pas un gouvernement simplement plus à droite que les autres, c’est un saut, non pas dans l’inconnu, mais qui entrainerait une remise en cause radicale de l’État de droit et des droits fondamentaux alors même que la constitution de la cinquième République et les lois sécuritaires de ces dernières années donnent des pouvoirs considérables au gouvernement.

C’est dans ce contexte que doit être discuté notre positionnement pour 2022. Doit-on considérer la catastrophe qui s’annonce comme inévitable et continuer nos petites affaires comme avant ou est-il possible encore de la conjurer ? Au vu de l’étiage actuel des gauches et de l’écologie politique, la présence de plusieurs candidats au premier tour de la présidentielle risque fort d’aboutir à son élimination. C’est la grande différence avec les exemples historiques qui ont vu la gauche l’emporter au second tour de la présidentielle ou aux législatives alors même qu’elle était divisée au premier tour : d’une part à l’époque le FN faisait des résultats dérisoires, d’autre part la gauche était à un niveau tel que la présence au second tour du parti dominant ne faisait pas de doute. Dès 2002, l’échec de Lionel Jospin à franchir le premier tour de la présidentielle a montré que cette configuration n’était plus assurée. Elle l’est d’autant moins aujourd’hui. Doit-on se satisfaire de cette situation où au contraire se battre pour un candidat commun sur la base d’une rupture avec le néolibéralisme et le productivisme ?

Deux objections à cette perspective sont avancées. La première porte sur sa crédibilité. Au vu des déclarations de candidatures des un.es et des autres, cette bataille semble avoir aujourd’hui peu de chances de l’emporter. Mais qu’en sera-t-il dans quelques mois quand il y aura trois, quatre candidats, et peut-être plus, issus de la gauche et de l’écologie politique. C’est le paradoxe de la situation. La bataille pour une candidature commune gagnera en crédibilité au fur et à mesure que le nombre de candidats augmentera car la conscience de la catastrophe annoncée s’imposera alors avec évidence. Loin d’être derrière nous, cette bataille est devant nous.

La seconde objection met en avant les divergences politiques qui existent entre les gauches et avec l’écologie politique. Ces divergences existent sans aucun doute. Si elles n’existaient pas, il n’y aurait pas des forces politiques différentes. Mais sont-elles à ce point insurmontables qu’elles seraient un obstacle absolu pour gouverner ensemble ? Oui s’il s’agit de gouverner avec la partie de la gauche convertie au social-libéralisme et néolibéralisme – Hollande et ses amis -, non s’il s’agit d’engager un processus de discussion avec des forces qui ont rompu à des degrés divers avec cette orientation. C’est dans ce cadre que se pose la question du PS. Sa rupture avec le quinquennat passé est partielle et de notre point de vue très insuffisante. Mais le PS n’a aujourd’hui aucun moyen d’imposer sa domination et encore moins son hégémonie. Un PS à 6 %, ce n’est pas la même chose qu’un PS à 25 ou 30 %. La bataille unitaire est une question de rapports de forces.

Au-delà de la question du PS, un programme de gouvernement ne peut simplement être issu des propositions d’un parti et encore moins d’un individu – cf les déclarations de JLM sur le service militaire, sur la Russie ou la Chine – mais d’un processus associant réseaux, mouvements et partis politiques. C’est la seule façon de donner à ce programme la légitimité politique pour créer la dynamique nécessaire pour l’emporter. Concrètement il serait tout à fait possible de créer des cadres de discussion communs pour aboutir à un socle de propositions, à un contrat de législature, permettant de prendre des mesures applicables immédiatement pour une rupture avec les politiques passées. Les points de désaccord pourraient être tranchés par un processus citoyen comme par exemple une convention citoyenne tirée au sort sur le même mode de la Convention citoyenne pour le climat.

Comment alors se positionner sur la candidature de JLM ? Celle-ci a évidemment toute sa légitimité et on peut penser, c’est mon cas, qu’il pourrait être le candidat commun dont nous avons besoin. Mais cela suppose d’accepter d’entrer dans un processus politique de légitimation citoyenne et populaire qui permette la convergence des forces et la constitution d’un contrat de législature. Au contraire de l’auto-désignation qu’il a choisi, JLM aurait pu dire qu’il était pour un candidat commun et présenter sa candidature dans ce cadre. Non seulement il aurait tactiquement mis ses concurrents potentiels dans l’embarras mais il aurait acquis ainsi un profil de rassembleur, profil qui lui fait défaut actuellement.

Le refus de mener la bataille pour une candidature commune, c’est se résigner à l’échec en 2022. On peut donc se poser la question de savoir s’il n’y a pas un non-dit derrière ce refus. Il s’agirait alors moins de gagner que de mesurer un rapport de forces interne entre les différents mouvements de gauche et de l’écologie politique pour s’assurer d’une domination dans ce camp après 2022. Calcul cynique aux conséquences désastreuses.

L’initiative « 2022 (vraiment) en commun » est aujourd’hui le cadre citoyen dans lequel se mène la bataille unitaire. Son appel a d’ailleurs été signé par nombre de membres d’EI et non des moindres. Cette initiative a pour particularité de regrouper et d’être pilotée par des réseaux jeunes, issus notamment des marches pour le climat, et qui considèrent la bataille pour l’unité comme primordiale. Il n’y a évidemment aucune garantie que cette bataille soit gagnée, mais il nous sera difficilement pardonné de ne pas l’avoir menée.

Pierre Khalfa