Comme beaucoup, je tente d’analyser les raisons de notre échec aux élections européennes et je cherche des pistes pour continuer le combat. Dans toute défaite, il y a des causes qui ne dépendent pas de nous et d’autres si. Les premières sont les moins polémiques, mais c’est sur les secondes que nous avons le plus de prise.D’abord, il y a la faiblesse du mouvement social. Les manifestations répétées de Gilets jaunes ont beau porter un message politique fort, elles ne menacent pas le pouvoir économique. Pour ça, il faut des grèves. Mais quand chacun compte le moindre euro et quand les syndicats sont décrédibilisés, c’est assez compliqué.
Ensuite, il y a un fait tout simple : le PS n’est plus au pouvoir. En 2012, Jean-Luc Mélenchon, candidat du Front de Gauche, avait réalisé un score honorable mais c’est le PS qui avait porté les espoirs d’alternance après 10 ans de pouvoir UMP. Les électeurs se souvenaient du passage aux 35h et se disaient « le changement, c’est maintenant ». 5 ans plus tard, le changement avait un goût amer. Celles et ceux qui aspiraient à davantage de justice sociale, de démocratie et d’écologie ne pouvaient pas faire confiance au PS, qui avait tourné le dos à ces valeurs pendant 5 ans. EELV, bien qu’ayant quitté le gouvernement en cours de route, avait aussi perdu sa crédibilité, au point de retirer son candidat. Jean-Luc Mélenchon, au contraire, s’était montré pendant 5 ans un défenseur constant de ces revendications, dans la rue comme dans les urnes. Voilà à mon avis la principale raison du succès de 2017. Une campagne dynamique, commencée tôt et pleine d’idées, le talent de JLM, le choix de mettre en avant le programme et les valeurs plutôt que les étiquettes et le folklore, cela a fait le reste, jusqu’à doubler dans les sondages un Benoît Hamon qui, de son côté, multipliait les erreurs. Ensuite, ce sont les sondages qui nous ont servi. Ces mêmes « horoscopes » que nous nous plaisons à dénoncer. Le PS appelait au vote utile depuis des décennies. Alors, quand c’est le vote JLM qui est devenu le vote utile, ses électeurs ont été nombreux à se reporter sur nous. Pour autant, ces dernières voix n’étaient pas des votes d’adhésion, comme on allait vite le voir.
Autre cause, le bashing des médias patronaux. Ne croyons pas qu’il soit spécifique à la FI ou à son leader. LO a eu droit au même traitement à la fin des années 90. Puis le NPA. En 2010, il était de bon ton dans les médias de valoriser JLM pour dénigrer Olivier Besancenot. Un jour, vers la fin de la campagne présidentielle de 2017, quand il est devenu clair que JLM devenait le vote utile à gauche, le Figaro a tiré la sonnette d’alarme, avec tout un dossier à charge contre lui. Tous les autres journaux patronaux ont suivi et ça n’a jamais cessé depuis. Être passé si près du second tour, avoir fait trembler la classe dominante (même brièvement), c’est impardonnable : FI delenda est ! Et là, je ne parle que de la France. Mais partout dans le monde, tout ceux qui s’attaquent un tant soit peu au pouvoir de l’argent sont traités ainsi : Iglesias, Corbyn, Sanders, AMLO, Tsipras avant sa capitulation, etc. Nous connaissons cet obstacle, nous n’en sommes pas responsables. Il sera toujours là, sauf à nous rallier aux intérêts du patronat. Nous devons nous y adapter, apprendre à le surmonter, éviter d’y prêter le flanc. Par ailleurs, il ne faut pas englober dans un même « parti médiatique » et confondre ces attaques avec les désaccords que des journaux indépendants peuvent parfois avoir avec nous.
Mais bien sûr, si nous avons perdu si largement, c’est surtout parce que la stratégie de notre campagne était mauvaise. À qui la faute ? À nous tous, bien sûr. À ceux qui ont pris de mauvaises décisions, à ceux qui ont promu de mauvaises options mais aussi à ceux qui n’ont pas su proposer mieux, pas su convaincre qu’une autre voie était préférable, et même à ceux qui n’ont pas fait l’effort d’y réfléchir par eux-mêmes. Ne jetons donc de pierre à personne : nous sommes collectivement responsables et nous serons collectivement plus intelligents la prochaine fois. Nous avons la chance d’avoir un programme partagé par tous : l’Avenir en commun (même si chacun trouvera, ici ou là, des détails qui lui plaisent moins). Le débat ne porte pas là-dessus. Il porte sur la stratégie du mouvement, sa méthode pour prendre le pouvoir. Clémentine s’est laissée piéger, sur France Inter, quand Léa Salamé lui a demandé si le problème était la personne de Mélenchon ou la ligne de FI. Elle a répondu « la ligne » donc le programme, ce qu’Olivier Faure s’est empressé de retweeter. Mais dans sa phrase suivante, elle explique bien qui c’est la stratégie qui a péché (et non le programme).
L’appel au « référendum anti-Macron », notamment, s’est retourné contre nous. Faire d’une élection un référendum contre quelqu’un, cela ne fonctionne que si on est certain d’être en tête de toutes les listes qui s’opposent à cette personne. Macron voulait mettre en scène un duel entre le RN et lui. Nous l’y avons aidé : si c’est un référendum anti-Macron, alors le RN est le vote utile. Parmi les Gilets jaunes les plus excédés par la répression macroniste, combien ont voté en se pinçant le nez ? Attention, je ne dis pas que les Gilets jaunes partagent les idées du RN, loin de là. Mais l’impérieuse nécessité, validée par la FI, de ne pas laisser Macron arriver premier, a poussé beaucoup d’électeurs vers le mauvais bulletin.
Il y a aussi eu le flou sur le plan B. Etions-nous toujours sur la ligne « l’Europe, on la change ou la quitte » ? Non, il s’agit de désobéir aux traités, comme beaucoup de pays l’ont déjà fait ou le font encore. Mais ce n’était pas clair. En quoi consistent le plan A et le plan B ? Cela change d’une année à l’autre. Et c’est normal que ça change : élaborer une telle stratégie prend du temps. Cela n’a rien de honteux. Encore faut-il l’assumer et justifier nos évolutions, au moins entre nous.
Plus grave, il y a eu le flou sur la stratégie elle-même. Entre la gauche et le populisme, nos dirigeants n’ont pas voulu choisir. Peut-être ont-ils perçu que ce clivage n’était pas pertinent. Sauf qu’au lieu de le dire et de proposer une autre grille de lecture, ils ont décidé d’alterner les deux. D’où le recrutement de Manon Aubry (la bonne surprise de cette campagne), choisie pour parler aux uns tandis que Jean-Luc Mélenchon s’adressait aux autres. Un discours à deux têtes jusque sur les bulletins de vote, qui a rebuté et les uns et les autres.
Ce genre de situation n’aurait pas dû arriver. La stratégie générale d’un mouvement devrait être un choix collectif, tranché démocratiquement et collectivement appliqué. Cette stratégie que je critique aujourd’hui, je l’ai mise en œuvre avec mon groupe d’action, en militant discipliné. Car si chacun fait comme il l’entend, comment savoir si la stratégie était bonne ou non ? Et quand c’est la stratégie elle-même qui est un double-discours, quel test peut-on faire ? On peut conclure qu’une stratégie floue ne fonctionne pas. Très bien mais ça, on s’en doutait. Qu’est-ce qui a échoué ? La ligne populiste ? La ligne de gauche ? Les deux ? Impossible de savoir. Du coup, chacun est légitime pour fustiger la ligne défendue par l’autre. Chacun a de quoi étayer sa thèse mais pas de quoi faire avancer le débat. Un débat qui devrait d’ailleurs se mener dans les instances de débat de FI plutôt que dans la presse. Problème : FI n’a pas d’instances de débat.
Si FI avait une direction élue (d’une manière ou d’une autre) et recevant un mandat pour une orientation écrite, on saurait quelle est cette orientation. Qu’on la partage ou pas, elle aurait la légitimité de l’ensemble du mouvement. Et si elle échoue à nous rapprocher des objectifs que nous partageons tous, ça se voit et on en change. Ceux qui ne la partagent pas n’auraient pas à partir en claquant la porte : leur opinion minoritaire serait respectée au sein d’un mouvement dont ils continuent à partager les objectifs. Et si les faits leur donnent raison demain, ils pourront défendre à nouveau leurs positions.
Alors, quel changement choisir ? Tout ce qu’on peut dire avec certitude, c’est que FI ne peut plus s’offrir le luxe de ne pas avoir d’instances démocratiques. Pour le reste … sans données objectives, chacun est renvoyé a ses analyses propres.
Personnellement, je crois que « gauche » et « populisme » présentent une même faiblesse : le syndrome de Humpty-Dumpty. Humpty-Dumpty, c’est cet œuf parlant perché sur son mur dans l’œuvre de Lewis Caroll. »Lorsque moi j’emploie un mot, répliqua Humpty-Dumpty d’un ton de voix quelque peu dédaigneux, il signifie exactement ce qu’il me plaît qu’il signifie … ni plus, ni moins. »
« La question, dit Alice, est de savoir si vous avez le pouvoir de faire que les mots signifient autre chose que ce qu’ils veulent dire. »
Ce n’est pas celui qui parle qui choisit le sens d’un mot, c’est celui qui écoute. Celui qui parle doit veiller à choisir les mots auquel son auditoire donnera spontanément le sens qui exprime sa pensée. Evitons de finir comme ce pauvre œuf :
Humpty Dumpty sat on a wall,
Humpty Dumpty had a great fall;
All the king’s horses and all the king’s men
Couldn’t put Humpty together again.
Pour la plupart des gens, la gauche, c’est d’abord le PS et ses satellites. Et ça ne donne pas franchement envie, surtout quand il est au pouvoir. Surtout, c’est une partie de la classe politique, que beaucoup rejettent en bloc tout en partageant nos valeurs. Pour nous qui faisons de la politique, le mot gauche désigne parfois un ensemble différent : ceux qui n’ont pas trahi les travailleurs. Il y en a même pour qui le mot « gauche » désigne la classe ouvrière elle-même. S’il faut passer dix minutes pour expliquer de quoi on parle chaque fois qu’on emploie ce mot, mieux vaut en choisir d’autres. Surtout que certains profitent de cette ambiguïté : ils disent « gauche » et chacun entend ce qu’il a envie d’entendre.
Le mot « populisme », qu’on le veuille ou non, a un sens bien précis dans l’esprit de presque tout le monde : il désigne l’extrême droite. Ajouter « de gauche » et expliquer qu’on est « populiste de gauche », c’est incompréhensible, même si la théorie derrière est respectable. Là-dessus se rajoutent les brouilleurs de cartes professionnels, ceux qui ânonnent depuis toujours que « les extrêmes se rejoignent ». Vous vous souvenez, quand ils parlaient de convergences entre Olivier Besancenot et Marine Le Pen ? Tout ceci banalise les vrais populistes, ceux que nous combattons. Et produit même parfois (rarement, heureusement) quelques Kotarac.
Parlons d’émancipation, de solidarité, d’écologie, de justice sociale, de démocratie. Ça, ce sont des mots que tout le monde comprend.
L’axe gauche-droite a un sens. Mais le « camp » gauche, c’est moins sûr, en tout cas au niveau national. En fait, il y a plutôt 3 blocs : un bloc autoritaire, populiste et nationaliste ; un bloc marché, concurrence, chacun pour soi et loi du fric ; et un bloc partage, émancipation, écologie. C’est ce clivage là qui est pertinent. Qu’ils soient de gauche ou de droite, les partis du bloc marchand n’hésitent pas à s’entraider. Et ils n’accepteraient pas que le bloc émancipation arrive au pouvoir. Ils renvoient dos à dos les deux autres blocs. Et ils sont tout contents de pouvoir dire : regardez, nous rassemblons des gens de gauche et des gens de droite, nous sommes au-delà des clivages, nous sommes le consensus, nous sommes le cercle de la raison. Alors qu’ils ne sont que l’une des trois grandes familles politiques. Au sein de chacun de ces trois blocs, il y a bien sûr des nuances, mais il y a surtout des valeurs partagées.
Alors ce qu’il faut rassembler, ce n’est pas la gauche, c’est tous ceux (déjà politisés ou non) qui placent nos valeurs au dessus de celles du marché (et de l’ethnie, bien sûr). Et pas seulement en France.
Certains proposent de ne défendre qu’une partie de ces valeurs. Pour Yannick Jadot, l’écologie passe avant tout le reste. Pour Raquel Garrido dans son interview chez Regards, il ne faudrait parler que de démocratie et de VIème République, transformer la FI en M6R. Ces deux combats sont importants, bien sûr, mais il faut aussi porter les demandes de justice sociale, de solidarité et d’émancipation. Chacun peut se consacrer davantage au combat qui le motive le plus mais il ne faut pas qu’ils entrent en concurrence les uns avec les autres.
Brice Errandonea (95)