L’offensive contre la Sécu est lancée. Frontale, brutale.
Les fiches produites par les hauts fonctionnaires qui peuplent le ministère de l’Economie et des Finances à Bercy, et dont les convictions libérales ne sont plus à démontrer, témoignent de cela.
Documents de support au Grand débat national, elles constituent un véritable arsenal argumentaire orienté vers un objectif : réduire ce qu’ils rangent dans les dépenses publiques et concrètement, réduire les pensions de retraites et les dépenses de santé.
Il faut dire que la commission européenne en juin dernier avait initié l’affaire. Dans une recommandation de juin 2018, elle incitait le gouvernement français à uniformiser progressivement les règles des différents régimes de retraite pour renforcer l’équité et la soutenabilité de ces régimes, avec comme mode d’emploi : l’alignement des fonctionnaires sur le privé pour d’ici 2022 et réduire les retraites de 5 milliards !
Un petit graphique sur l’utilisation de 1000 euros de dépenses publiques condense et résume cette offensive (1).
Rendez-vous compte braves gens ! Sur 1000 euros dépensés, 575 euros le sont pour la protection sociale, essentiellement retraites (268 euros) et santé (191 euros). Comme le disait Macron : un pognon de dingue !
Les dizaines de milliers de petit-es retraité-es Gilets jaunes, qui manifestent depuis des semaines pour protester contre le blocage de leurs pensions, apprécieront. Les malades, qui attendent des heures aux urgences ou des semaines pour une intervention chirurgicale, ainsi que les personnels hospitaliers confrontés aux postes vacants et à l’austérité budgétaires, aussi.
Tout est bien coordonné et « miracle du Grand débat national, depuis deux jours surgissent de Bercy et Matignon des documents compréhensibles par le commun des contribuables ! » a écrit Olivier Auguste du journal « l’Opinion ».
Au même moment, « France stratégie », organe de réflexion et de prospective rattaché à Matignon, think tank gouvernemental, publie fort opportunément dès le 18 janvier une note d’analyse intitulée : « Où réduire la dépense publique ? ». Sur le site de LCI, on a une présentation plus hard : « économiser sur les retraites et la santé la recette de France stratégie pour baisser la dépense publique »(2).
Cette note présente ainsi que la part des retraites en France dans le PIB, comparativement à la moyenne européenne, représentent 13,8 points de PIB pour 10,4 en Europe.
Même « démonstration » pour la santé ou les chiffres donnés annoncent 7,9 points de PIB en France pour 6,9 en Europe.
La « démonstration » constitue la toile de fond du graphique sur les 1000 euros.
Il s’agit là d’abord d’une véritable escroquerie intellectuelle car il faut comparer des choses comparables.
Ainsi, dans de nombreux pays européens, une partie importante des retraites et de la santé est prise en charge par des dispositifs privés, essentiellement sociétés d’assurances et fonds de pensions. A ce titre, ils se trouvent exclus des « dépenses publiques ». Ces dépenses ne posent aucuns problèmes aux libéraux car tout cela passe par la case marchés financiers et contribue à dégager des profits pour les sociétés en question. C’est le modèle des USA.
En France pour l’instant encore et depuis la mise en place de la Sécurité Sociale en 1945 les retraites sont très largement prises en charge par « un système presqu’entièrement socialisé » comme le reconnait France stratégie (visiblement prononcer le terme « Sécurité Sociale » est trop dur pour notre think tank). C’est globalement la même chose pour le financement des dépenses de santé.
Présenter des chiffres intégrant les dépenses de santé et de retraite, financées et prises en charge par la Sécurité Sociale comme des dépenses publiques et les comparer avec des systèmes différents constitue ainsi une escroquerie intellectuelle.
Cette escroquerie intellectuelle dans le présentation des chiffres s’articule avec une manipulation idéologique sur la notion même de dépenses publiques .
C’est là le cœur du débat depuis de nombreuses années sur le financement de la Sécurité Sociale.
Le patronat n’a jamais accepté que la rémunération du travail contribue à payer non seulement de quoi subvenir aux besoins quotidiens, ce que fait, plus ou moins bien d’ailleurs, le salaire net, mais aussi de quoi faire face aux aléas de la vie comme la maladie les accidents du travail, la maternité et la vieillesse, ce que fait la partie du salaire qui est socialisée via les cotisations dans la Sécu.
Malgré de nombreuses atteintes au système de la Sécurité sociale (ordonnances gaullistes de 1967, exonérations multiples, exemptions , CSG, prise de contrôle de l’ Etat avec le PLFSS chaque année…), il reste encore globalement financé sur la base et par un prélèvement primaire à la source de la création des richesses sous forme de cotisations et constitue encore un salaire socialisé mis au service de tous.
Tout l’enjeu pour le patronat a consisté à effacer cette dimension de salaire socialisé, au profit de la notion, qui s’est malheureusement imposé dans le débat publique et le vocabulaire politique, de « charges sociales » qui pèsent sur le travail, plus précisément sur le coût du travail, et dont il s’agirait de le soulager. Pour le patronat, transférer vers l’impôt la protection sociale s’inscrit dans l’objectif de baisse du coût du travail. C’est le principal résultat concret de la montée en puissance des exonérations « de charges » depuis plus de 25 ans.
C’est l’objectif néo-libéral poursuivi depuis longtemps dans ce pays consistant à faire reculer le système par répartition de la Sécu, à basculer vers l’impôt une protection sociale de base pour tous, notamment pour les plus démunis, ce que certains appelle le premier étage de la fusée et à ouvrir toujours plus le marché privé des complémentaires santé et des retraites assurancielles par capitalisation pour ceux et celles qui peuvent payer.
Inscrire la protection sociale dans les « dépenses publiques » revient idéologiquement à considérer les recettes de la Sécurité Sociale et notamment celles qui sont fléchées vers la retraite ou la santé via les URSSAF comme équivalent à de l’impôt
En supprimant ainsi le fléchage des recettes de la Sécu, on effacerait définitivement la Sécurité Sociale elle-même.
La prochaine étape pourrait être la fusion de la CSG à l’impôt sur le revenu, projet porté par exemple par Jean-Marc Ayrault dans le débat sur le budget de l’Etat en octobre 2015 sous forme d’amendements.
A l’époque, Manuel Valls, Premier ministre, avait repoussé les amendements et son ministre de l’économie Michel Sapin avait défendu que cela constituait « une perspective de long terme sur laquelle il faut travailler avec la mise en place du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu….».
Cela rappelle une certaine actualité ? Non ?
Notre réponse politique s’articule autour de la défense et de la reconquête de la Sécurité sociale, comme organe socialisé prenant en charge des besoins essentiels pour tous et toutes : santé, retraite, maternité, accident du travail, famille.
Les axes d’un programme à défendre : Sécu à 100%, financée par les cotisations, intégration des complémentaires, non aux exonérations et exemptions, la santé et la protection sociale ne sont pas des marchandises .
Roland Foret
- http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2019/01/16/20002-20190116ARTFIG00199-quand-le-gouvernement-explique-aux-francais-o-vont-1000-euros-de-depenses-publiques.php
- https://www.lci.fr/social/pour-france-strategie-baisser-la-depense-publique-passe-par-des-coupes-dans-la-sante-et-les-retraites-2110530.html