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Et maintenant….

Ce samedi 1er décembre, en fermant les Champs-Élysées, Christophe Castaner a créé les conditions d’un affrontement violent. Il est probable que le dispositif cherchait à concentrer celui-ci place de l’Etoile, place fermée, puis ouverte selon les moments.

La violence des GJ a largement débordé les éventuels groupes organisés. Des milliers de GJ étaient prêts à l’affrontement. Des vidéos sur les réseaux sociaux des GJ avaient appelé à s’équiper (lunettes, masques, gants…), appel largement entendu.

L’objectif de Castaner a été rempli. Les incidents ont redoublé. Mais le dispositif a été largement débordé par la colère des manifestants, à l’image de l’explosion de violences dans de nombreuses villes.

Des forces progressistes étaient présentes (cheminots, Collectif Adama…) et s’étaient données les moyens d’être visibles (banderole, mégaphone, slogans et chants…). Leurs slogans étaient repris et souvent provoquaient une confiance spontanée de GJ qui ne savaient pas comment réagir, où aller (de nombreux-s-es GJ qui ont suivi le cortège des cheminots, puis la fanfare invisible…).

On en est où ?

– La taxe sur le carburant est déjà un peu dépassée, la question sociale est au centre, la question démocratique aussi. Cela se voit dans les échanges avec les GJ, comme sur leurs réseaux sociaux. Au delà de la revendication de départ (taxe sur la carburant) et la plate-forme des GJ, ce qui est le plus mis en avant : salaires, pensions de retraite, ISF mais aussi question démocratique, contre le « roi/président des riches », contre un système qui ne représente pas « le peuple ».

– La violence relève de la colère sociale, pas de groupuscules. Les affrontements dans de nombreuses villes en attestent face à un pouvoir qui ne cède rien et de violences policières qui vont crescendo depuis 3 semaines maintenant.

– Du côté de la gauche sociale / syndicale et politique, la décantation est (trop) lente ! Des appels de syndicats CGT pour construire la convergence avec les GJ se sont multipliés. De manière générale, associations, syndicats et partis ont changé de discours passant à un soutien à la mobilisation des GJ et à un appel à la convergence.  Des bougés ont eu lieu localement avec des rencontres « officielles » de GJ avec des ULs CGT par exemple, et dans certains endroits, des rassemblements ou manifs communes.

Mais tout ça reste très timide et sans aucune impulsion nationale, la méfiance (et parfois le rejet) reste de mise du côté de nombreux-s-es GJ envers les organisations.

– L’extrême-droite présente mais de moins en moins visible. Des forces comme Debout la France doivent aussi compter avec des franges qui leur sont proches et qui deviennent en partie hostile au GJ (des commerçants, une partie du patronat du transport routier, de patrons de PME…). La confrontation avec les forces de l’ordre rend aussi plus difficile tout le discours « patriotique » qui circulait sur l’union avec la police et l’armée face à la République des corrompus. Surtout, dans les thématiques avancées, c’est la question sociale qui domine.

Cette tendance peut s’inverser en cas de pourrissement et de déclin du mouvement comme de l’absence confirmée de la gauche sociale, syndicale et politique.

– Une économie qui commence à être affectée et le patronat qui appelle à une remise en ordre. Plus de deux semaines de blocages de routes, de zones commerciales, et sporadiquement de ports ou de raffineries, de péages gratuits (certains péages ont été incendiés) affectent maintenant l’économie française. Le mécontentement augmente du côté de petits patrons, mais aussi du transport routier, de la grande distribution et des sociétés d’autoroute. Cela se traduit par des prises de position de maires de droite qui appellent à dégager les GJ.

– Des divisions sont manifestes dans le salariat, d’autres pourraient se produire si le mouvement ne se généralise pas. Au delà de la popularité de cette révolte sociale, on sent bien que des segments du salariat restent en retrait. C’est manifeste dans les grande villes, région parisienne en particulier. Cela tient au point de départ de la mobilisation (le carburant, question probablement moins sensible dans des grandes métropoles), et à sa sociologie de départ. Cela tient aussi à l’absence d’initiative de la gauche sociale/syndicale et politique. Une autre division pourrait arriver très vite. Dans de nombreux endroits des salariés de la grande distribution (à qui on impose des jours de congés ou du « sans solde ») commencent à se plaindre des blocages. C’est toujours ce qui se produit quand une mobilisation ne se généralise pas, que le blocage n’est pas « total ». Sans appel syndical, et organisation de la convergence, on pourrait assister à des conflits entre salariés bloqueurs et salariés bloqués.

– Le gouvernement peut jouer la répression massive d’un côté et la cooptation de GJ raisonnables de l’autre. Ce gouvernement a joué l’usure, le pourrissement (avec la durée, le climat), la stigmatisation (« c’est l’ultra-droite » ). Il essaye de se rattraper en cooptant des GJ et en réintroduisant les « corps intermédiaires », syndicats et partis, dans le jeu. Ce qui est certain, c’est que le niveau de répression a déjà sensiblement augmenté. Le 24 novembre, puis le 1er décembre, il y a au de nombreux GJ mutilés, à Paris et dans de nombreuses villes. Samedi, le nombre d’arrestations a beaucoup augmenté. Et vendredi, il y a eu de nombreuses violences policières contre les lycéen-ne-s qui manifestaient dans pas mal de villes y compris des petites. Même abandonnée très vite, la possibilité de mettre en place l’état d’urgence et de faire appel à l’armée montre bien que le niveau de répression va augmenter dans les jours à venir. Il risque de s’exercer sur les barrages et blocages en tous genres (routes, autoroutes, zones commerciales, raffineries…).

– Un potentiel de colère sociale qui peut exploser ailleurs. Les nombreux blocages de lycées vendredi dernier, à l’appel de l’UNL (dont l’implantation est faible), montrent que le mouvement de GJ et le discrédit du gouvernement ont peut-être créé les conditions d’une mobilisation d’autres secteurs de la société. Dans les lycées, une solidarité avec les GJ s’est exprimée, mais aussi un large défiance envers les réformes en cours (Parcoursup, lycée et bac).

– La puissance des réseaux sociaux. De multiples réseaux sociaux « organisent » les GJ. Ils sont un vecteur déterminant de politisation mais aussi d’organisation. Des tutoriels pour organiser un blocage « légal », pour se protéger en manif, … circulent largement. Pour samedi 1er, il y avait le rendez-vous « officiel » mais aussi celui de République où une partie des GJ est allée (au contact de la CGT donc). L’appel de l’UNL s’est massivement répercuté via les réseaux sociaux des GJ (les parents GJ ont donné l’info à leurs enfants lycéen-e-s !). Ce qui explique les blocages dans des lycées de petites villes où il n’y a quasiment aucune force progressiste.

Les réseaux sociaux sont aussi un lieu qu’essayent d’investir les diverses composantes d’extrême-droite, en particulier sur la question des migrants. Ce sont donc aussi des lieux d’affrontement politique contre les racistes et les réactionnaires.

Et maintenant on fait quoi ?

La principale responsabilité est celle du mouvement syndical qui doit sans tarder appeler à la mobilisation. Au moins, il s’agirait, comme pendant la mobilisation contre la loi Travail, d’appeler à une journée de grève interpro public privé avec blocages de secteurs stratégiques (raffineries, ports). Et à défaut de cette impulsion centrale, il convient de multiplier les appels à la grève avec des préavis reconductibles. Le vendredi 7 décembre, veille de la nouvelle journée de mobilisation des GJ ou juste après le lundi 10 décembre. Les forces syndicales et progressistes doivent multiplier aussi des opérations de bocages, même ponctuelles. C’est un moyen de renforcer la pression sur le pouvoir, de montrer aux GJ que le mouvement syndical et progressiste peut être utile pour renforcer la mobilisation, c’est un moyen de convergence en acte ! La perspective d’une manifestation nationale à court terme (15 décembre ?), doit être aussi débattue. Ce pourrait être une manifestation de convergence autour de 3 ou 4 revendications ou à défaut une journée avec 4 ou 5 grandes manifestations régionales.

Participer aux échanges sur les réseaux sociaux, prendre contact sur le terrain, apporter une aide logistique aux GJ, participer aux blocages (qui risquent de subir beaucoup plus de répression dans les jours à venir), proposer des lieux pour se réunir, débattre et se coordonner, à l’échelle d’une ville, d’un département… Le mouvement ouvrier doit organiser concrètement la convergence.

Enfin, pour les prochaines mobilisations de rue des GJ (8 décembre qui est aussi la journée de lutte pour la justice climatique), il est indispensable de travailler à la visibilité des mots d’ordre progressistes alliant justice fiscale, écologie, exigence démocratique et solidaire (par rapport aux migrants).

Guillaume Floris, le 3 décembre 2018.