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Élections européennes, enseignements d’un scrutin continental

Les élections européennes qui se sont tenus du 23 au 26 mai dernier ont profondément bouleversé le champ politique européen. Le rejet de l’Union européenne s’est traduit par l’affaiblissement des deux principales familles politiques, les chrétiens-démocrates et les socialistes. Dans le même temps, des forces politiques jusque là secondaires, ont gagné en importance mettant à mal la stabilité de l’édifice européen. D’autant plus qu’entre le Brexit et les incertitudes qui pèsent sur l’économie, la période à venir s’annonce agitée. Passage en revue des principaux enseignements du scrutin.

  1. L’Union européenne, une superstructure en manque de légitimité et d’assise sociale

Le taux de participation dans les 28 États membres a atteint 50,5%. Un taux certes en hausse de huit points par rapport à 2014 mais qui reste inférieur aux autres scrutins (nationaux, régionaux ou locaux) dans la plupart des pays de l’UE. Un.e citoyen.ne sur deux ne s’est pas déplacé pour élire ses représentant.es au Parlement européen. De plus, la hausse de la participation a principalement bénéficié aux partis critiques vis-à-vis de l’UE – qu’ils soient progressistes ou réactionnaires.

Les raisons de cette désaffection sont connues et anciennes mais en l’absence de changement de cap, elles se renforcent : l’UE est le fer de lance des politiques austéritaires et autoritaires ; il n’y a pas véritablement de mécanisme de correction des inégalités entre États membres et à l’intérieur des États ; il n’y pas non plus de sentiment d’appartenance à une communauté européenne (sauf pour une élite) ; les institutions apparaissent comme éloignées des préoccupations populaires. En définitive, l’UE est une instance disposant d’importants pouvoirs mais qui repose sur des bases fragiles.

  1. L’érosion des deux principales familles politiques

Les deux principaux groupes politiques qui ont dominé la vie politique européenne depuis la création du Parlement européen en 1979 sont en net recul. Le groupe du Parti populaire européen (PPE) passe de 29,4% des sièges dans l’hémicycle à 24,1% et le groupe des Socialistes et démocrates (S&D) de 25,4% à 20,4%. Pour la première fois, ils perdent la majorité absolue à eux deux.

Concernant les socialistes, leurs résultats aux élections européennes et nationales sont ambivalents et en trompe-l’œil. Il est vrai qu’ils résistent parfois mieux que ce laissaient prévoir l’évolution du PS français ou du précurseur PASOK grec. Toutefois, s’ils parviennent à gagner des gouvernements en Finlande, en Suède ou au Danemark, c’est n’est pas grâce à des bons résultats électoraux mais avant tout à cause du recul encore plus important des autres partis de gouvernement et au prix d’alliances conditionnant fortement l’exercice du pouvoir – en Suède les sociaux-démocrates sont à la tête d’un gouvernement minoritaire, en alliance avec des partis libéraux. La situation est différente en Espagne et au Portugal ou le PSOE et le PS ont réussi à inverser la tendance mais sans pour autant retrouver les majorités absolues dont ils bénéficiaient la décennie précédente.

  1. Les libéraux, les Verts et l’extrême droite en dynamique

Le déclin du PPE et du S&D, va de pair avec le renforcement des libéraux, des Verts et de l’extrême droite. Le groupe libéral ALDE, nouvellement nommé Renew Europe, voit son nombre de sièges passer de 11% à 14,3%, principalement grâce aux bons scores de LREM (22,4%), des LibDem britanniques (19,6%), qui ont su capitaliser sur le rejet du Brexit par une partie de l’électorat conservateur et, dans une moindre mesure, de Ciudadanos (12,2%). Dans les trois cas, le vote libéral a surtout mordu sur l’électorat de droite traditionnel, en réaction à la droitisation du PPE.

Les Verts, passe de 7% à 10%, en particulier grâce aux bons résultats des Verts allemands (20,5%), belges (15%), français (13,5%) et britanniques (11,8%). C’est le seul groupe à avoir mené une campagne véritable européenne et ce sont incontestablement les grands bénéficiaires des mobilisations de la jeunesse pour le climat – à titre d’exemple, EELV avait choisi comme slogan « Votez pour le climat ». Toutefois, ils ont une implantation très faible dans l’Europe du Sud (Grèce, Italie, Espagne, Portugal), et les députés d’Europe centrale qui siègent dans le groupe des Verts proviennent de partis pirates. Enfin, pour la plupart d’entre eux, ils ont par le passé connu une évolution en dent de scie et leur électorat est très volatile – les Verts français avaient obtenu 16,3% aux européennes de 2009 pour retomber à 2,3% à la présidentielle de 2012.

Les partis d’extrême droite ou de droite radicale se maintiennent ou se renforcent dans la plupart des pays européen. Dans trois pays centraux, l’extrême drote arrive en tête : avec le RN (23,3%) en France, le Parti du Brexit de Nigel Farage (30,7%) au Royaume-Uni et la Lega (34,3%) en Italie. En Hongrie le Fidesz de Victor Orban obtient la majorité absolue (52,1%) et en Pologne le PiS n’en est pas loin (45,4%). En Allemagne avec l’AfD (11%) et en Espagne avec Vox (6,2%), l’extrême droite obtient pour la première fois des députés européens. Toutefois, la progression n’est pas aussi importante que redoutée et surtout les droites radicales sont incapables de s’allier, les privant d’une influence décisive dans l’hémicycle. Elles se retrouvent reparties dans quatre groupes distincts (PPE, CRE, EFDD, ID) à cause de leurs positions parfois antagonistes sur le lien avec la Russie, la construction européenne ou la répartition des migrants.

  1. Un système effrité et instable

La perte, pour la première fois, de la majorité absolue par les deux principaux groupes les oblige à rechercher une alliance plus large. Celle-ci devrait inclure les libéraux et les Verts. Mais l’élargissement de l’alliance ne signifie pas forcément qu’elle soit plus solide, au contraire. Les divergences politiques entre les quatre groupes sont nombreuses, ce qui ne manquera pas de rendre les compromis plus difficile à trouver. La future Commission européenne, s’en retrouvera aussi affaiblie, d’autant plus qu’aucune personnalité ne fait consensus et qu’aucun groupe n’a la légitimité naturelle suffisante pour prendre la présidence.

Aux instabilités politiques résultantes du jeu parlementaire s’ajoutent deux éléments qui risquent de causer de profondes secousses d’ici peu. Le probable remplacement de Theresa May par Boris Johnson rend plus probable la mise en œuvre du Brexit avec des conséquences imprévisibles sur l’ensemble de l’UE. En outre, la Banque centrale européenne ne pourra garder infiniment des taux directeurs négatifs qui maintiennent artificiellement l’économie sous perfusion. La fin de la politique du Quantitative easing pourrait accélérer le déclenchement d’une nouvelle crise. Enfin, rien n’est fait – et il n’est pas prévu que cela change – pour faire face aux menaces existentielles que représentent le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité.

  1. La gauche radicale dans l’impasse

La gauche radicale est en recul à peu près partout sauf au Portugal où le Bloco de Esquerda obtient 9,8% et en Belgique où le PTB gagne son premier député européen avec 8,4% (5,3% pour la Wallonie plus 3,1% pour la Flandre). La GUE/NGL passe de 6,9% à 5,5%, devant le plus petit groupe du Parlement européen, ce qui renforcera sa marginalisation. Les facteurs de ce recul sont nombreux : un rapport de force dégradé et l’absence de conquêtes sociales, le poids du Brexit (les difficultés de la sortie de l’UE) et de l’expérience grecque (les difficultés d’une politique alternative dans le cadre de l’UE), l’incapacité de certains partis à se renouveler, la déconnexion avec les couches populaires et enfin les errements stratégiques (alliance avec la social-démocratie).

Toutefois, la marginalité peut être saisie comme une chance : ne pas se focaliser sur les batailles parlementaires mais se tourner résolument vers les mouvements sociaux, en particulier le mouvement climat et le mouvement féministe.

Pierre Marion