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Des témoignages sur les blocages….

Clermont Ferrand (63) :

J’ai passé la journée de mardi en #giletsjaunes pour grande partie au rond-point du Brézet. Une journée de dingue !

On arrive avec Nello. Le rond point est occupé de part en part. Des constructions de palettes : des barrières, un dépôt pour vivres et matériel, une cabane pour dormir, du mobilier (tables bancs), des feux… grands et très chauds ! Un camion sono qui nous passera du bon vieux rock enflammé et bien dansant une bonne partie de la journée…

Pour compagnons à ces premières heures 30-40 personnes, plus, moins, je ne saurais dire. Nous sommes un point parmi d’autres… nous ne sommes qu’au centre du rond-point… en amont de chaque route y menant plusieurs barrages de gilets jaunes dépendant de notre dispositif. J’ai pas tout remonté. Ailleurs dans les alentours d’autres rond-points sont occupés sur le même mode. Dans la journée un turn-over perpétuel viendra s’ajouter en flot continu : des gilets jaunes d’une ou deux heures, de passage, en navette, de 10min le temps d’une pause café au boulot, le temps de nous laisser des vivres, à boire, à manger (nous aurons rempli une cabane en une matinée !) ou quelque-fois sans s’arrêter en tendant un sac par la fenêtre de la voiture… mais surtout le reste… et c’est le plus fou!

Des ancien-ne-s, beaucoup de 20-40 ans, paritaire, des bébés et enfants, beaucoup de péri-urbains des villes et villages à 50km à la ronde obligés de travailler, faire leurs courses ou accéder à certains services à Clermont-Ferrand, coincés entre leurs petits salaires et la distance. C’est la concentration des services publics-emplois-administrations-pouvoirs dans les métropoles et la désertification et l’abandon dans le reste qui s’exprime. Elu métropolitain cela m’interpelle… Mais aussi des syndicalistes, plus que les autres jours, venus sans leurs drapeaux et autocs, mais armés de leur colère, leur écoute et leur savoir-faire. Personne ne leur dit rien… “Nous sommes le peuple !”. Et à l’aube “le peuple” est train d’écouter le récit de l’évacuation du dépôt de la part de ceux qui y étaient et viennent d’arriver, il mate des vidéos Facebook de l’événement… ça rigole et discute tactique… “Le chat et la souris”… “ça sert à rien d’aller à la confrontation”…

Assez rapidement je me mets à sympathiser avec une bande de jeunes. Ils sont de Chauriat, en études ou jeunes précaires-travailleurs. Nous nous étions aperçus lundi soir au dépôt de carburant au milieu de la soirée tumultueuse… D’autres jeunes plus loin sont de Haute-Loire, d’autre de Clermont-Fd, Gerzat, Lempdes, Cournon… Finalement nous passerons une bonne part de la journée ensemble et nous retrouverons le soir, autour du feu (toujours !), en Assemblée Générale au péage de Gerzat.

J’écoute… Ils me parlent d’alimentation bio et locale connectée aux paysans du coin, de coopératives pour faire tout ça, de lutte contre les multinationales. Eux ont peur d’un truc dans ce mouvement : c’est que “la petite classe moyenne”, “les 1300 euros”, “qui se font niquer au boulot et qui ont des crédits” “ne lâchent et se lâchent sur les chômeurs ou RSA, ou les migrants qui sont utilisés comme diversion”. “Le vrai problème ce sont les multinationales”… Ils ne sont pas militants, pas d’extrême-gauche, juste “des jeunes de Chauriat”.

Dans les anciens, on devine que quelques-uns ont voté Marine… Mais personne ici ne parle de migrants ou étrangers… ce n’est pas la question… les gens sont ici “pour remplir le frigo” et “arrêter d’être pris pour des cons”…

D’ailleurs aujourd’hui ça discute un peu plus revendications… car si c’est un ras le bol général et le combat pour vivre qui sont à l’origine de la mobilisation et que “tout le monde connait la situation”, la prolongation spontanée du mouvement après le 17 oblige à plus de tactique et de stratégie… le traitement médiatique aussi… “Les gilets jaunes c’est le progrès, pas ces beaufs avinés racistes et anti-PD du nord ou du sud” me dit une jeune mère de famille qui enchaîne les jobs de merde dans l’incertitude de ce qu’elle fera le mois prochain… émerge ça et là la conscience qu’il faut commencer à lister ce pour quoi on se bat, pour en discuter entre nous, pour en discuter avec les automobilistes, pour opérer des convergences avec des secteurs ou professions en lutte…

D’ailleurs à ce moment-là nous apercevons un jeune plus loin qui distribue un tract aux automobilistes… le groupe se déplace… Un peu méfiant au départ… ” Fais voir ton tract c’est quoi ? C’est toi qui l’a fait?”… “Oui… à la maison avec ma copine hier soir, on en a fait une centaine à l’imprimante”… En quelques secondes il n’en a plus… Les tracts s’arrachent, sont lus avec appétit… les premières impressions s’échangent… spontanément les gens en plient un dans leur poche pour le garder, pour plus tard, pour convaincre. D’autres vont les distribuer aussitôt… “C’est très bien!”, “Enfin!”, “C’est bien parce qu’on racontait beaucoup de conneries à notre propos, notamment sur l’écologie” sont les impressions qui ressortent…

Mais les discussions ne sont pas longues… le café est fini… on retourne au boulot! Car depuis le matin la mission du Brézet c’est discuter, convaincre… Tous les camions, tous les routiers sont invités à garer leurs camions sur une file, pour perturber un peu le trafic sans le bloquer, mais surtout pour échanger 10 minutes, une demi-heure, faire sa pause repas ou rejoindre le mouvement…. L’écho est plus que positif… 9 camions sur 10 s’arrêtent… les files de voitures se prolongent à perte de vue… le rond-point est un café-débat improvisé où s’enchaînent les routiers, les citoyen-ne-s, mais assez rapidement une bonne part des équipes de travailleurs passant dans le coin… Sur toute la journée, de la nuit à la nuit, ça klaxonnent dans tous les sens par solidarité, les automobilistes arborent le gilet jaune, ça ouvre les fenêtre, signe la pétition pour la démission de #Macron, discute le temps des bouchons et nous demande des infos… Les gilets jaunes font la circulation : “Pas question qu’il y ait de nouveaux accidents”…

J’ai déjà fait cela à plusieurs reprises dans mon histoire militantes… mais jamais dans de telles conditions… les gens ouvrent les fenêtres des voitures ou se garent à l’arrache pour nous laisser un sac de courses qu’ils ont fait dans le magazin du coin… un camion poubelle se gare à l’improviste et nous propose de ramasser nos déchets… des équipes de travailleurs de différentes entreprises du coin ont fait un “petit détour” pour prendre des nouvelles, nous livrer leurs palettes ou matériaux plutôt qu’à la déchetterie… mais surtout c’est qu’assez rapidement (et c’est là où ça devient intéressant!) ce ne sont plus que les routiers qui se garent pour discuter… mais la plupart des équipes de travailleurs en camion, camionnettes, voitures du boulot passant par là… De la ville, de la métropole, du BTP, des magazins du coin, Engie… de partout… du privé, beaucoup ! Il y a une vraie forme de solidarité entre travailleurs qui s’exprime sous de multiples facettes : sourires, coup de klaxon, échanges, café, coups de main, encouragements… C’est le public auquel nous galérons habituellement à nous adresser syndicalement… Il est là, il s’exprime même si c’est confus “politiquement”… mais c’est réel et chaleureux, vrai. Une conscience d’intérêts commun est là. Autour du feu ou du café, de la benne ou de la portière ça discute salaires, conditions de travail, mépris de Macron, crédits, baraque, avenir des gosses ou des ancien-ne-s… Sincèrement j’ai jamais vu ça avant et pourtant j’en ai fait comme on dit… Dans la même journée j’aurais vu d’anciens collègues de quasi toutes les boites où j’aurais bossé en tant que travailleur précaire : le collègue qui m’avait formé lorsque j’étais pompiste, en mode gilet jaune sur le rond-point, un ancien collègue de Champion que j’ai découvert garé pour discuter, une collègue caissière d’Auchan qui s’est arrêtée nous laisser des courses en rentrant du boulot, des agents de la ville ou de la métropole en lutte contre le RIFSEEP klaxonnant comme des dingues, d’autres avec qui j’avais fait des espaces verts en saisonnier nous laissant un peu de bois, un prof de Blaise nous disant qu’il était là samedi et solidaire… Retraites, Loi Travail ou autre… ça m’était jamais arrivé dans un espace-temps si réduit.

Du coup la question du travail est sur toutes les lèvres… et avec elle la question de la grève (ou pas). Une jeune trentenaire ou fin vingtaine est fière de me dire que son mari s’est mis en grève aujourd’hui pour qu’ils puissent venir participer… “depuis la Haute-Loire !” Cela m’interroge… “Une grève ? Il y a un préavis dans ta boîte ? Tu bosses où ?”… Il a en réalité posé 2 jours, il n’y a pas de préavis… je ne sais pas si il serait gréviste, mais l’on sent que pour lui la question n’est pas là… il a refusé d’aller travailler, il n’y est pas aller pour être là ! … cela peut faire rire quand on est rompu et repus des grèves, mais pour lui, il y a là une forme d’insoumission, très certainement sa première… Tout son village était mobilisé… “2000 personnes ! On aurait jamais pensé… y’a des gens j’aurais pas dit…”.

Un autre salarié présent ici avec sa femme et l’un de ses enfants est également dans le même cas. “Il a posé une journée” me dit sa femme avec fierté également. Ils sont précaires. Vraiment. On ressent que la grève c’est tous les mois dès le 10 et que la seule chose qu’il reste à cet homme à verser, à sacrifier à la lutte, à payer pour pouvoir rester digne et debout, fier, “ayant eu l’impression d’avoir fait quelque chose pour ses enfants” comme il me dit, c’est précisément de sacrifier ce temps de repos avec ses enfants parce que c’est tout ce qu’il lui reste et qu’il a à donner… quand il le peut, quand il peut l’arracher à une vie éclatée par les horaires décalées, l’incertitude des contrats précaires, l’absence totale de budget loisir. Il me renvoie à moi-même… ça gronde dans l’estomac… Il est vénère. Jeune papa comme moi il a les glandes de voir la tournure que prend le monde pour ses gosses. “Je refuse qu’il n’aient pas d’avenir”… Oui… Il fini de me mettre une sorte de secousse interne… Et on va tout faire pour… Je pense à ma fille… mon enfance au quartier… j’ai les nerfs…

D’autres travailleurs présents sur les lieux attendent la grève générale ou un préavis… Les syndicalistes présents sur place abondent… Il y a notamment quelques cheminots syndiqués mais présents sans l’aval syndical… Il l’attendent, ils le veulent… même si ils ne sont pas pour venir avec drapeaux et autocs… “Il y a là une occasion unique me disent-ils, regardent ces travailleurs de partout qui s’arrêtent ou klaxonnent… d’habitudes on n’arrive pas à leur parler”… Il y a aussi quelques clermontois-e-s non-organisé-e-s mais ayant participé à différents mouvements sociaux (95, retraites, loi travail, CPE)… Les récits et expériences passées s’échangent… sur les grèves de routiers, sur le blocage du pays, sur plein de choses… Il faut réfléchir, trouver des solutions.

Plus loin un groupe est assis et discute du tract du jeune couple (ça en papote par ci-par là entre gilets jaunes, mais aussi en discussions mixtes entre eux et les automobilistes ou travailleurs arrêtés, autour d’un café)… lorsque j’entre dans le groupe un homme m’interpelle avec bienveillance et presque en s’excusant : “Il me lit le tract (en désignant un jeune qui semble étudiant et que je n’avais pas encore vu), je ne sait pas lire… c’est pour ça, il me lit le tract”… J’ai envie de pleurer… mes sentiments sont confus.

A deux pas c’est le couple de Haute-Loire qui papote avec toute une petite bande de jeunes début vingtaines (en réalité plusieurs petits groupes agrégés)… eux aussi parlent du tract. “Ils veulent remettre les points sur les i du mouvement” et trouvent le tract très bien. Ils se reconnaissent dedans… c’est grosso modo ce qui les a amené ici également… Le seul point de débat porte sur la manière de parler du glyphosate “sans braquer les paysans obligés de l’utiliser mais qui sont contre afin qu’ils nous rejoignent”. Mon cerveau n’est plus en état de marche… je laisse ce débat…

Globalement les gens regrettent que jamais on aille “jusqu’au bout”…

“Il faut une prochaine date” souffle t-on par-ci par là, “comme samedi dernier, un second round!”… “Ce coup-ci il faudra vraiment tout bloquer une journée!”… les gilets jaunes présents ont bien conscience que tout le monde ne peut pas se mobiliser comme eux en semaine et qu’il faut une date en week-end pour permettre au plus grand nombre de participer, réinsuffler du souffle, massifier, peser. “On va pas continuer à faire la circulation à la place des flics” grogne mon collègue pompiste. “Que dit-on aux automobilistes?” demande un étudiant. “De signer la pétition pour la démission de Macron!” répond une ancienne… “ça suffit pas, un coup de klaxon et un gilet ne feront pas plier le gouvernement” répond un jeune développeur de logiciels pour enfants… “Les banques, les banques, c’est elles que nos actions doivent viser, “ce sont elles les responsables” assène t-il… “et les multinationales!” rajoutent un jeune de Chauriat… “Mais qui décide ? Comment ?” D’ailleurs “tout le monde ne pourra pas monter à Paris le 24… On fait quoi les autres ici?”… “Paris c’est bien mais c’est grillé” lance un jeune… “On a pas les moyens” dit une maman. “On peut pas demander un train à la SNCF? propose un gars… “Paris c’est bien, mais faut montrer qu’on tient le pays bougonne un ancien, faut pas lâcher ici”…

Il est déjà 18h… Une “Assemblée Générale” des gilets jaunes a lieu au péage de Gerzat où dans la journée ils étaient déjà présents… On y file… Au milieu de l’herbe en hauteur un campement… De grands feux, un camion sono… environ 2-300 gilets jaunes massés… des prises de paroles sur les actions à mener sont en cours au moment où nous arrivons (nous sommes à la bourre). Je suis alpagué par les jeunes de Chauriat dans un coin et contents de me retrouver là… Plus tôt dans l’après-midi, ils étaient venu prêter main forte ici… ça discute beaucoup actions coup de poing pour gagner en sympathie, attitude face aux routiers et manière de procéder en sécurité quand on met des opérations de blocage avec camions, montée à Paris ou pas, bonne image et bienveillance mutuelle… ça alterne entre prises de paroles au micro et discussions en petits groupes… c’est très brouillon par rapport aux AG classiques, carrément moins festif que l’Assemblée au dépôt de Cournon la veille…

On sent un poids plus présent des organisateurs… mais cependant ça discute, énormément, dans tous les sens, ça ne fait que ça… avec l’exigence de décider ensemble… et d’être efficaces… L’idée de votes et procédures démocratiques au mouvement commence à émerger… Mais pour le moment c’est des aller retour micro discussions en petits groupes, les organisateurs filtrent les prises de paroles (ils ne veulent pas de n’importe quoi, “il y a des flics et journalistes infiltrés” disent-ils… et effectivement nous le constatons)…

Nous, il nous faut une date et un lieu de rdv comme samedi. C’est pour ça qu’on est là… On en discute dans les petits groupes et avec les organisateurs… l’idée n’avait tout simplement pas émergée… “Il a raison, c’est une très bonne idée…” . Elle est reprise ! Samedi 8h00 au péage de Gerzat… Le débat sur les actions menées par le point de Gerzat se poursuit…

Nous, nous rentrons au Brézet puis à la maison… Car si comme ce papa du matin je n’ai que mon temps à donner, je veux en garder quelques minutes avec ma fille… car Oui, c’est pour elle que je me bats aujourd’hui… Il est déjà 22h, depuis maintenant 2 semaines je l’esquive à cause du boulot ou de mes implications militantes… Elle me réclame… et je vais satisfaire ses revendications… car en plus d’être de gauche, là, à cet instant, j’ai vraiment besoin d’un gros câlin et d’écouter ses rires… ma parenthèse de bonheur dans cette vie de merde.

Et ensuite mon ordinateur… Il faut raconter… Ce n’est pas possible de passer à côté de ce qui se joue maintenant… effectivement ce n’est pas un mouvement classique, mais une explosion de colère protéiforme. Mais comme pour la révolte des quartiers populaires cette révolte est profondemment politique et ne demande qu’à être construite… Le mouvement peut conduire à des actes racistes ou homophobes (minoritaires et sur-médiatisés comme “les casseurs” pour les mouvements sociaux plus classiques) dans les territoires ou l’extrême-droite est puissante. Mais ici, à #ClermontFd, nous sommes une terre de gauche… Ne l’oubliez pas… Pas de ça ici !… Comme pour les quartiers populaires, se refuser d’intervenir SUR NOS BASES sous prétexte que le mouvement n’est pas parfait ou classique, c’est effectivement prendre le risque d’une coupure avec les organisations démocratiques progressistes en les renvoyant à l’abstention ou aux fachos après avoir connu ce sentiment d’abandon et d’échec, de défaite. C’est prendre le risque de rater l’occasion de foutre Macron dehors. C’est la question sociale que nous attendions tant qui vient d’exploser, de s’inviter dans nos agendas… Elle pose directement la question du pouvoir puisque la revendication unanime porte sur la démission de Macron… Des places entières dans quasi toutes nos villes et villages l’ont scandé samedi dernier… ce n’est pas rien… Comme pour les quartiers populaires en 2005, le cul entre deux chaises, une révolte légitime et une fierté retrouvée d’une part, le mépris et l’incompréhension du monde militant progressiste d’autre part vis à vis de ces gens si “imparfaits”, tant pas capable de trouver les solutions que nous peinons à trouver depuis 20 ans, je pleure en écrivant ces lignes.

Du nerf les camarades ! Abandonner temporairement nos drapeaux et autocs ce n’est pas abandonner nos organisations, nos motivations ou revendications ni les taire… c’est simplement les reconnecter à ces milliers de gilets jaunes actifs, ces millions plus passifs… et au mouvement de sympathie et de solidarité énorme dont il bénéficie, ces dizaines de travailleurs de toutes boites que j’ai vu défiler, discuter, s’engager d’une manière ou d’une autre… en ce mardi sur ce seul rond-point…

Je suis dans mon lit, je pose le point final… je reçois des photos du dépôt de carburant de Cournon… il vient d’être bloqué de nouveau… le chat n’est pas là les souris dansent… Bonne nuit les souris.

Florent Naranjo, le 21 novembre 2018.

Besançon (25) : 

Samedi 17 novembre 2018, je décide de me rendre sur un point de blocage des gilets jaunes aux environs de Besançon. Je choisis les ronds-points de Beure et de la voie des Mercureaux. Je m’y rends en vélo, c’est à 6 km de chez moi, en direction de Quingey. Les 2 ronds-points sont distants d’une centaine de mètres l’un de l’autre.

Sur place l’ambiance est plutôt bon enfant. Un peu plus d’une centaine de gilets jaunes a mis en place un barrage filtrant. Les voitures sont arrêtées pendant 2 à 3 minutes, les gilets jaunes engagent la conversation par les fenêtres ouvertes, félicitent celles et ceux qui ont un gilet sur le tableau de bord pour affirmer leur solidarité (la majorité), rappellent à celles et ceux qui l’ont dans le coffre que le code de la route oblige à ce qu’il soit accessible, dans l’habitacle de la voiture. Les discussions sont calmes, et les voitures peuvent passer, souvent par groupe de 5 ou 6. Une ambulance, avec klaxon et gyrophare, est orientée en double file pour remonter le blocage, guidée par les gilets jaunes et les quelques gendarmes présents. Ceux-ci sont peu nombreux, avec 2 véhicules. Les rapports avec les manifestants semblent bons. Au cours d’une conversation l’un des gilets jaunes me glissera : « ils sont avec nous ». Plus tard c’est la voiture d’un jeune couple sortant de la maternité avec leurs jumeaux nouveau-nés qui sera guidé en double file, bénéficiant d’un « saute blocage ». Ce sera aussi le SAMU, la conductrice agitant un gilet jaune par sa fenêtre ouverte, ouvrant la voie à une ambulance de Valdahon, qui passera le blocage. Sur la vitre arrière des lettres collées : « en grève ». Oui les urgences du CHU (tout proche) sont en grève perlée depuis le 9 octobre.

Selon les moments les files de voitures en attente sont plus ou moins longues, avec aussi en ce samedi après-midi des camions immatriculés en France mais aussi allemands, espagnols, et roumains, polonais. Ces derniers suscitant des réflexions sur les travailleurs détachés et la concurrence « libre et non faussée » que ça représente. Cependant aucune vindicte particulière à l’égard des chauffeurs, juste quelques réflexions amères entre gilets jaunes.

Les gilets jaunes sont de tous les âges, et les femmes sont nombreuses. Quelques jeunes sont en moto, et assurent des va et vient sur les routes d’accès aux giratoires pour vérifier que tout se passe bien. Deux d’entre eux arborent un drapeau bleu-blanc-rouge accroché à l’arrière de leur moto. Il y a parfois des « roues arrière » généralement saluées par des applaudissements et quelques cris.

Les discussions avec les « gilets » sont instructives. L’un dit être retraité et craindre pour l’avenir de ses enfants, l’autre, cinquantenaire, dit avoir fini de payer sa baraque, mais s’inquiète pour les autres, qui ont des emprunts à rembourser. Tous disent l’obligation de prendre leur voiture pour leurs déplacements.

Sont présents quelques « indépendants et artisans ». L’un d’eux, peintre, a accroché un grand drap sur le côté de sa camionnette sur lequel il a peint : « On en a gros ». Ça fait réfléchir ! C’est lourd de sens !

Les draps, panneaux, cartons, affichettes, bricolés avec de la peinture ou des feutres sont nombreux et divers. Les slogans sont très souvent bien vus, parfois percutants : Qui sème la misère récolte la colère ; Taxer les actionnaires et moins les prolétaires ; Pour une politique écologique juste, pas de racket ; Rendez aux petits leur pouvoir d’achat ; Stop aux dépenses faramineuses ; Arrêtez les taxes, Stop ; Donnez l’exemple ; Trop c’est trop, stop Macron. Et puisqu’on n’est pas très loin de Lons le Saunier, berceau de la fromagerie Bel : une tête de « vache qui rit » avec le slogan : Macron, la vache qui rit, quand les retraités se font traire, rendez-vous le 26 mai 2019. Allusion toute politique à l’élection européenne qui vient.

Seule affiche qui n’est pas faite à la main celle qui évoque Coluche : « Quand on pense qu’il suffirait que les gens n’achètent plus pour que ça ne se vende pas. Pour y arriver partageons… etc. »

CertainEs bloqueurs/ses se réchauffent autour d’un brasero. Ils/elles ont pique-niqué à midi sur ces giratoires. Ici pas de réflexions douteuses ou critiquables (agressives, racistes ou homophobes) comme il a pu en être rapporté ailleurs. Bon état d’esprit apparemment, même si certains sont venus en SUV (Sport Utility Vehicle) ces bagnoles massives, plus lourdes que les berlines, et qui consomment beaucoup de carburant. Mais c’est la mode, les constructeurs automobiles les ont promus et certains y passent leurs économies ; c’est peut-être une façon d’affirmer qu’on existe et qu’on n’est pas un moins que rien.

A ma question un gilet jaune répond : oui on reste là ce soir, on continue. Dimanche je suis donc repassé sur les mêmes ronds-points. Un seul était bloqué, celui des Mercureaux. Fiché en terre sur une bande d’herbe en bord de route on aperçoit un drapeau franc-comtois. Et toujours la camionnette « On en a gros ». J’aperçois aussi une caravane arrimée à une voiture. Le propriétaire a-t-il passé la nuit sur place ? Tout est très propre, aucun relief, aucun déchet laissé la veille. Le pique-nique n’a laissé aucune trace.

Lundi ça a continué, avec une cinquantaine de bloqueurs/ses comme la veille. Et toujours la camionnette qui a vraiment le cœur gros.

Mardi c’est fini, plus personne aux ronds-points. Pas facile de continuer beaucoup moins nombreux, dans une situation embrouillée, sans perspective claire, avec des soutiens faiblards ou encombrants comme ceux de diverses droites. L’un des bloqueurs m’avait dit dimanche : j’ai pris une semaine sans solde. Mais tous n’avaient pas la même détermination.

A bientôt j’espère, comme on dit à Besançon. A bientôt j’espère, c’est le titre d’un film de Chris Marker et Mario Marret, tourné en 1967 à Besançon, à l’occasion de la grève de la filature de la Rhodiaceta..

Et pour terminer, en bonus, un tract qui était distribué par les gilets jaunes sur le blocage de Valentin, près de Besançon, direction Vesoul en Haute Saône. (voir ici).

Gabriel Viennet, le 23 novembre 2018. Publié sur Factuel.info.

Béziers (34) :

A Béziers, les militant-e-s et sympathisant-e-s de la France Insoumise et d’Ensemble ! ont décidé de participer au mouvement de colère qui traverse en ce moment la France, d’être sur le terrain pour ne pas rester au chaud à commenter la vie sociale et politique, et pour ne pas laisser la rue à l’extrême-droite…

Suite à une discussion le samedi matin même, il nous est apparu qu’il fallait :

–  Etre avec les gens, pouvoir discuter et se faire une idée plus juste de la mobilisation,

– Eviter d’apparaître comme voulant récupérer ce mouvement, sachant qu’aucune organisation au niveau national n’en était à l’origine,

– Eviter d’aller sur des points clairement étiquetés d’extrême droite,

– Pouvoir exprimer vers l’extérieur nos analyses et propositions.

Dans une ville comme Béziers, avec l’extrême droite aux commandes, il y a toujours des enjeux particuliers.

Ménard essaie bien de récupérer le mouvement en lançant notamment une campagne d’affichage “Le 17 je manifeste – Macron m’a tuer, la France qui fume des clopes et roule en diesel” comme à son habitude.

Il a par ailleurs demandé à sa Directrice Générale des Services d’envoyer un ordre aux différents responsables de service de la ville où il était stipulé : “M. le Maire voudrait que dès aujourd’hui nous mettions les gilets jaunes sur les sièges de tous nos véhicules municipaux en soutien au mouvement national contre la hausse du gasoil. Merci de mettre en œuvre au plus tôt.” Avec la pression qui est exercée sur les agents municipaux une telle demande émise directement du maire est bien un ordre. Ménard souhaite donc que les agents fassent de la politique politicienne alors qu’ils sont tenus à un devoir de réserve. Encore une fois le maire de Béziers pense que les agents municipaux sont à son service pour mener ses propres croisades. Il a aussi demandé que des véhicules diesel de la ville soient placés sur les allées Riquet le 17 novembre. Tout cela au frais du contribuable… C’est aussi ça l’extrême droite au pouvoir.

Le 17 novembre au matin, les militants mobilisés que nous étions se posaient alors la question de savoir s’il serait judicieux d’aller au rassemblement organisé par la municipalité, sur les allées Riquet, et montrer que toute la population n’était pas d’accord avec ses manipulations en distribuant des tracts et en scandant des slogans comme “le peuple est fâché, mais sûrement pas facho – Ménard, Ménard arrête ton canular”

Arrivé en éclaireur, un petit groupe de militant-e-s s’est bien vite aperçu que le rassemblement de Ménard faisait un flop. Il y avait presque plus de voitures de la municipalité que de personnes. Dans ce groupuscule : des élus d’extrême-droite et sûrement quelques salarié-e-s pro-Ménard, des employé-e-s de la ville craignant pour leur poste et/ou d’être mis au placard. Il y avait aussi sûrement quelques personnes qui venaient pour observer et prendre des notes au sujet des dérives de la municipalité d’extrême-droite.

Clairement pas un rassemblement populaire et bigarré comme le sont les différents points de regroupements organisés partout en France aujourd’hui !

Au regard du faible nombre de personnes présentes au rassemblement organisé par Ménard il n’était pas utile de mener une action ici.

La population biterroise ne s’y était pas trompée : Ménard et ses valets tentaient une manipulation pour récupérer la grogne,  à des buts forcément nauséabonds comme l’extrême-droite sait si bien le faire. Bien sûr l’équipe des Ménardss, le maire et la députée, n’allaient pas se mélanger avec “le bas peuple” sur un point de blocage ; ils préfèraient une manip bien orchestrée, vite faite, avec journalistes, et on repart tranquillement chez soi. A noter que le couple Ménard habite justement sur ces allées Riquet. Ils n’ont pas dû trop se mouiller ce samedi matin. – Soit dit en passant, pas étonnant que bons nombres de travaux d’embellissement concernent justement ces allées Riquet. Par contre pour les quartiers populaires il n’en va pas de  même…

Bref, mieux valait partir et ne pas donner d’importance à cet épiphénomène.

Notre groupe de personnes (des citoyens que nous sommes, à leurs heures “perdues et richement occupées” militant-e-s et sympatisant-e-s  FI et Ensemble!) est donc allé sur un premier point de blocage-filtrant situé à un rond point de la ville.

Puis à un second dans lequel l’enjeu était de toucher au porte-feuille les grands centres commerciaux (ici le Polygone) qui tuent les petits commerçants des centres-villes : les client-e-s ne pouvaient pas aller dans ces “temples de la consommation”. Comme quoi dans cette mobilisation les gens ciblaient bien, entre autres, ce que représentent les grands centre commerciaux en tant que symbole du capitalisme responsable de nombreuses dérives destructives. Il y a quelque chose d’anticapitaliste dans cette action même si elle n’est pas toujours formulée ainsi.

Consommer autrement est urgent pour la planète. Aller chez les petits commerçants de quartier ou les artisans, qui connaissent les produits ou services qu’ils vendent et peuvent apporter un vrai conseil aux clients qui ne sont pas que des numéros. De plus, ce tissu de petites structures n’est pas délocalisable et se situe un minimum en indépendance vis-à-vis de la bourse.

Stop à la surconsommation et à l’obsolescence programmé . Nous ne sommes pas des marchandises.

Les différentes personnes mobilisées sur ce point de blocage le faisaient dans un esprit respectueux des autres et des passants. La détermination et la colère était bien là. Il y a eu quelques échanges sympathiques. Une camarade a distribué 2-3 tracts FI à des gilets jaunes de ce point de blocage mais ne souhaitant pas donner l’impression qu’on tentait de récupérer politiquement cette action, nous sommes allés distribuer nos tracts sur un autre petit rond-point un peu plus loin, là où il n’y avait pas encore de blocage-filtrant.

Dans ce contexte de grogne et de colère il est remarquable de voir combien les personnes ouvraient volontiers la fenêtre, malgré la pluie, pour avoir un tract. Pas d’hostilité à recevoir des tracts de la France Insoumise. Des encouragements fréquents même.

Tracts contre la pauvreté et contre l’évasion fiscale, 2 campagnes nationales de FI depuis ces derniers mois. Et un tract sur l’actualité : “Je roule, pas le choix – Macron, lâche moi – Oui à la planification écologique, stop à l’hypocrisie au service des lobbies“.

De là à dire que tous partageaient les positionnements politiques que nous défendons,  nous ne nous y risquerions pas. Mais au moins cela permettait de participer à la vie démocratique en exprimant nos idées tout en montrant que des personnes se mobilisaient sur des thèmes clairement de gauche, pour la justice sociale, pour le climat, contre le capitalisme. Bref pour construire une société écosocialiste à l’opposée de ce qui est proposé par l’équipe de Macron avec son écologie punitive de façade.

Ce mouvement n’en est qu’à ses débuts. Difficile de dire comment il va évoluer mais il est urgent d’être aux côtés de tous ces mécontents pour faire connaitre par exemple les “100 revendications pour la justice sociale, la solidarité et la justice climatique”. Les différentes organisations politiques de gauche, les syndicats, les associations doivent s’y atteler afin de donner des perspectives à de nouvelles utopies plus que jamais nécessaires.

Gaël, le 17 novembre 2018.