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Kanaky : le gouvernement français tente de minoriser les indépendantistes kanak·es

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Après l’avancement unilatéral du dernier référendum pour l’indépendance de 2021, largement boycotté par les Kanak·es, le projet de loi élargissant le corps électoral de la Kanaky attise les tensions, nie une fois de plus le droit à l’autodétermination des autochtones et met à nu la brutalité coloniale de l’Etat français.

Ce lundi 13 mai 2024, l’Assemblée nationale votait le projet de loi constitutionnelle “portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie1 présentée par le gouvernement français. Ce projet de loi élargit le corps électoral de la Nouvelle-Calédonie à quelques 25 000 citoyen·nes supplémentaires né·es ou résidant depuis plus de 10 ans sur le territoire pour les prochaines élections locales.

Il existe actuellement trois corps électoraux différents2 :

  • La liste électorale générale
    (concerne tous les citoyen·nes français·es majeur·es, pour les élections municipales, les présidentielles, les législatives, les européennes et les référendums nationaux)

  • La liste électorale spéciale pour les provinciales
    (concerne les citoyen·nes français·es majeur·es, justifiant de 10 ans de domiciliation sur le territoire depuis 1998 (accords de Nouméa) ou 10 ans de domiciliation sur le territoire depuis 2021 si un parent est inscrit·e sur la liste électorale générale, pour voter aux élections provinciales et à celles du Congrès)

  • La liste électorale spéciale consultation
    (concerne les citoyen·nes français·es majeur·es, ayant eu le droit de vote lors de la consultation de 1998, né-es en Kanaky, ayant le statut civil coutumier Kanak et justifiant de 20 ans de domicile continue depuis 2014, pour voter aux consultations concernant l’avenir de la Kanaky)

La Kanaky, un territoire singulier

Pour comprendre l’impact de ce projet, il est nécessaire de revenir brièvement sur l’histoire de ces territoires. Ce que l’Etat français appelle la Nouvelle-Calédonie est un ensemble d’îles et d’archipels de l’ouest de l’océan Pacifique. Territoire colonisé depuis 1853, il s’agit d’abord d’une colonie pénitentiaire où sont déporté·es les condamné·es à des peines de travaux forcés, puis les communard·es et les indépendantistes algérien·nes. Devenue colonie de peuplement, la Nouvelle-Calédonie est un territoire inscrit sur la liste des territoires non autonomes3 à décoloniser établie par les Nations Unies depuis 1986, à l’instar de la Polynésie française.

Habitant ces territoires depuis environ trois mille ans, les Kanak·es sont le peuple premier de la Kanaky. En 2019, on compte près de 271 407 habitants, dont 41,21 % de Kanak·es, 24,13 % d’Européen·nes et 11,33 % de métis. Les statistiques ethniques étant très encadrées dans le droit français, les populations de Kanaky sont une exception à la règle du fait de son histoire singulière.

Avec près de 171 ans de colonisation, cet archipel est marqué par des inégalités socio-économiques4 racialisées importantes. Majoritaires jusque dans les années 1970, les Kanak·es perdent la majorité numérique qualifiée sur leur propre terre du fait de l’arrivée de nouvelles populations lors du boom du nickel. 20 à 30 % des réserves mondiales de nickel5 se trouveraient en Kanaky, une richesse stratégique pour son usage (acier inoxydable, batteries…). Pourtant, le taux d’activité des Kanak·es est inférieur de 20 points à celui des Européen·nes en 2014 tandis que le taux de non-diplômé-es est 4 fois plus important chez les Kanak·es que chez les Européen·nes. Seulement 4,1 % des Kanak·es sont diplômé·es de l’enseignement supérieur, contre près de 40 % des Européen·nes en 2014.

La lutte pour l’autodétermination du peuple kanak

Dans leur lettre ouverte au peuple de France6, le peuple kanak revient sur l’histoire des luttes d’indépendance et ses nombreuses révoltes (1878, 1917, 1984/1988 pour ne citer que celles-ci). A Nainville-les-Roches, en juillet 1983, deux principes importants sont posés : la reconnaissance par l’Etat français du “droit inné et actif à l’indépendance” pour le peuple kanak et l’acceptation par le peuple kanak d’associer les différentes communautés au processus de décolonisation de la Kanaky. Ces deux principes sont intrinsèquement liés, le deuxième ne saurait être mis en œuvre en l’absence du premier.

En 1998, avec les accords de Nouméa7 l’Etat français reconnaît pour la première fois les violences coloniales et prévoit un transfert progressif de compétence vers la Kanaky, un plan de réduction des inégalités ainsi que 3 référendums pour déterminer l’indépendance de la Kanaky. Afin de préciser les éléments concernant les listes électorales présents dans ces accords, en 2006 est adopté le gel du corps électoral en Kanaky8, réservant le droit de vote aux élections provinciales et territoriales aux personnes installées sur le territoire depuis 10 ans à la date du 8 novembre 1998.

La continuité coloniale française à l’oeuvre

Aujourd’hui, le projet de loi constitutionnel devrait élargir de 14 % l’électorat local. Les groupes indépendantistes acceptent d’ajouter aux listes provinciales les personnes nées après 1998, mais refusent l’élargissement aux nouveaux arrivants de Kanaky. L’Etat propose ainsi une condition de résidence de 10 ans, sans pour autant fournir une étude d’impact de cette réforme sur les prochaines échéances électorales.

Ce projet de loi reste dans la continuité de la brutalité juridique de l’Etat. Prévus par les accords de Nouméa, trois référendums pour l’indépendance ont eu lieu : 2018 (56,7 % de non), en 2020 (53,3 % de non) puis le scrutin prévu initialement en 2022 a été avancé par E. Macron contre l’avis des populations locales en 2021, présentant une abstention record de 56,13%. Largement boycotté par les Kanak·es, ce référendum ne peut être considéré comme légitime, et le projet de loi du gouvernement n’est qu’une énième provocation Il n’est ainsi pas seulement question de l’élargissement du corps électoral, mais bien la remise en cause par le gouvernement du processus de décolonisation et la construction locale d’une communauté de destin en Kanaky.

​​Depuis lundi 13 mai, de nombreuses révoltes et barrages ont éclaté sur l’archipel à l’appel du peuple kanak. Une situation jugée insurrectionnelle par le gouvernement, qui a décidé de réprimer violemment une insurrection qu’ils ont eux-mêmes provoquée. L’état d’urgence a été décrété mercredi 15 mai, s’accompagnant de restriction des libertés et d’un ban de TikTok. Trois Kanaks ont été assassinés par balle lors des affrontements, a priori tués par des Européen·nes. Ce bilan sanglant aurait pu être évité si le gouvernement avait choisi de respecter le processus de décolonisation, au lieu de provoquer le peuple kanak.

Nora K-M.